Devinette. Qui donc co-présidait Ecolo du temps de Jean-Michel Javaux? Vous ne voyez pas? Normal. On l’a oublié mais, tout un temps, le gendre idéal fut plutôt l’ombre du duo qui se doit de conduire le parti Vert. (toujours un bruxellois + un wallon)
Aux côtés d’Evelyne Huytebroeck ou d’Isabelle Durant, ex
Vice-Premier(e) Ministre, l’homme fut d’abord plutôt en retrait. Même si son
exploit communal de 2006 -rafler le maïorat d’Amay à la très socialiste famille
Collignon avec 43% des voix- avait fait sensation. Ce n’est que lorsque la
nouvelle co-présidente Sarah Turine, à ses heures violoniste du groupe newwave
LCDCR (qui tire son nom d'une peinture de Jan Van Eyck, la “Vierge du Chevalier
Rolin”), a souffert dans ses prestations médiatiques, ou n’a plus été
sollicitée par les medias, que Javaux est devenu emblématique, limite people.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, Ecolo a presque son Colombey,
son Amay-les-Deux-Eglises. Réfugié à la Présidence du holding public liégeois Meusinvest -qui investit dans les PME, les “incubateurs” aéronautiques ou biotechnologiques, etc…- Javaux a pu certes y donner libre cours à son goût pour les entreprises, qu’il tenait déjà –à juste titre- important pour Ecolo.
La Boisserie d'Amay
Si on a du mal à cerner l’ampleur de l’influence, il est cependant un secret de polichinelle: depuis sa Boisserie d’Amay (1), Jean-Michel Javaux n’a jamais vraiment cessé d’être peu ou prou à la manoeuvre. En politique, seuls savent s'arrêter ceux qui ne seraient pas partis.
C’est que, chez les Verts, on aime bien, depuis belle lurette, s’adouber entre affinités: et qu’il y a une évidente filiation de plus entre Jean-Michel Javaux et Emily Hoyos. Celle qui lui succèda comme wallonne en 2012 en tandem avec le fondateur Olivier Deleuze, personnage et député bruxellois à éclipses, un peu revenu de tout (notamment de Greenpeace et de l’ONU), désormais bourgmestre de Watermael-Boitsfort.
Oui, il en a rêvé, il l’a caressée longtemps, Jean-Mi, cette idée de revenir au premier plan. Avec une ou deux phrases floues mais pas anodines chez Pascal Vrebos, le dimanche midi, genre teasing politique. Genre “je-suis-le-recours-si-Ecolo-était-menacé”. (3) Ce qui, mine de rien, est tout de même un brin gonflé au gaz immodeste.
Jusqu’à finalement, après avoir deviné, tâté trop de sables mouvants, renoncer au travers d’une interview -pas non plus sans ego ecolo- à Frederic Chardon. “J’ai apporté beaucoup à Ecolo. J’ai donné beaucoup de nouvelles idées, un nouveau style”. (…) “Je connais Magnette: il m’a suivi. Et le MR aussi” a-t-il dit à La Libre, soutenant même au passage l’intervention militaire belge en Irak.
Entendez: “De mon temps, tout ce que j’ai fait c’était génial”. Euh.
A se demander aussi, à l’entendre, s’il s’était passé électoralement quelque chose en mai 2014. Et en juin 2010, sous l’époque Javaux, ou un premier ressac d’alerte était déjà apparu en voix.
La moitié des voix évaporées
A décharge, il est vrai que ce n’est guère facile d’être
co-président d’Ecolo: d’abord parce que l’écologie politique n’est guère en
forme en Europe; ensuite parce qu’il n’y a classiquement pas plus indidèle
comme électorat. Plus de la moitié
peut s’envoler soudain vers d’autres cieux, surtout PS ou cdH. “Dans ma région, 20% des voix sont allées au MR”, concède Javaux. Bref, il suffit d’un rien, d’un mot malheureux (jadis l’ “écotaxe”), d’une maladresse (le “dossier Francorchamps”) ou d’un dossier pourri par d’autres (le feu photovoltaïque allumé de manière irresponsable par le cdH André Antoine) pour que la sanction électorale tombe, fut-elle parfois injuste. Ne jamais oublier: la politique, c’est la cruauté.
Prenez le temps de bien lire les chiffres qui suivent. Ce sont ceux des dernières élections de mai 2014. On y photographie combien la claque, la baffe, a été forte: au niveau fédéral d’abord (222.524 voix en 2014 contre 313.047 en 2010) mais surtout au niveau des Régions. Dix députés wallons perdus en Wallonie. (176.486 voix contre… 372.067 en 2009) Et, à Bruxelles, plus que 41.360 voix en 2014 contre… 82.663 en 2009.
Carrément la moitié des votes envolés. Avec pour conséquence, dans les structures, le choc des licenciements.
Une maladie chronique
Tout comme après la défaite spectaculaire de 2003 (en 1999, le scandale de la dioxine avait assuré un triomphe historique aux Verts), la Berezina de 2014 a suscité un grand malaise chez les écologistes. Précipitant le départ anticipé du tandem Hoyos-Deleuze, pourtant pas trop mal équilibré sur la durée de son mandat, mais accusé d’avoir “mal communiqué” au fil d’une campagne pour le moins aussi mollassonne que prudente. Et donc sans âme. Résultat: Ecolo, fidèle à sa maladie chronique un brin infantile, vire, en interne, à nouveau happening bourdonnant. Ou un chat a bien du mal à retrouver ses jeunes tant, à chaque élection d’une nouvelle direction bicéphale, les différences officielles entre les duos de candidats sont parfois subtiles. Un grand classique est ainsi de “réaffirmer sa foi dans les fondamentaux”.
Ce qui ne postule pas forcément les mêmes. Comme l’a rappelé Jacky Morael dans “Générations Vertes” (2) , c’est “qu’il n’y a pas de saut de génération quantique chez Ecolo. C’est par cercle évolutif que les choses changent: c’est un processus continu”.
De fait, la “dimension collective” est toujours une culture politique très présente chez les Verts. Et si la conception de la “présidence” ne postule pas la même concentration de tous les pouvoirs que dans d’ autres partis. Même si le gouvernement d’Ecolo, ces dernières années, n’a pas toujours vraiment accepté d’assumer la différence de points de vue.
En politique, on ne connaît aucun leader de parti qui apprécie qu’on le conteste, fut-ce en interne.
Des jeux politiques interpersonnels
Zakia Khattabi Chloé Deltour |
Conséquence: ça laisse une bien grande place aux jeux politiques interpersonnels. Aux comportements individuels, aux réunions presque secrètes visant tel ou tel obectif. Bref, au lancement de peaux de banane.
C’est ce qui, jadis, a empêché Jacky Morael de devenir Vice-Premier Ministre, bloqué par des stratégies de Verts bruxellois à l’époque dévorés d’ambition.
C’est ce qui a fait qu’Isabelle Durant a dû céder, contre toute attente, son fauteuil de parlementaire européen à Philippe Lamberts, son ancien conseiller de cabinet.
Zakia contre Maggie
Le prochain duel aura lieu d’ici mars, avec deux tickets.Celui formé par la bruxelloise Zakia Khatabbi et le wallon Patrick Dupriez. Candidature solide qui aurait pu rester unique si, en dernière minute, un autre ticket n’avait postulé. Inspiré par la mouscronnoise aux lunettes vertes Chloé Deltour et rejointe à Bruxelles par Christos Doulkeridis, ex-secrétaire d’Etat bruxellois.
Deux tickets, avec en toile de fond, une ligne de démarcation .
C’est que, pour nombre de militants écologistes (ceux qui font les décisions au Conseil de Fédération ou aux Assemblées Générales), la ligne “centriste” que Jean-Michel Javaux et ses amis ont imposé, celle qu’a suivie également Emily Hoyos, est devenue par trop prudente, sans grande radicalité, par trop politiquement correcte.
“Je continuerai à être pragmatique, toujours, maintient Javaux dans sa Boisserie d’Amay. Et c’est pour cela que je suis mal vu par certains à l’intérieur d’Ecolo”.
Le hic, c’est que pour d’aucuns, ledit pragmatisme signifie qu’Ecolo est devenu par trop gestionnaire, trop tenté par le pouvoir pour le pouvoir. Et que lorsqu’il en sort, comme en Wallonie, ses anciens alliés s’empressent de détricoter ou de reporter l’acquis écolo. (les mesures de Philipe Henry par exemple)
Et que c’est cette même ligne, peu adaptée au climat socio-économique, qui, oups, a précisément contribué à la berezina électorale de mai 2014.
Ceux-là se retrouvent sans doute davantage dans le tandem Zakia Khattabi-Patrick Dupriez. (au slogan bof: “Autrement, ensemble, pour tous”)
Licenciée en travail social de l'Université Libre de Bruxelles, féministe, le coeur très à gauche sans folie, Zakia Khattabi est une forte personnalité. Du genre de celles que l’observateur politique voit soudain apparaître dans le champ médiapolitique en se disant: “ Tiens, voila quelqu’un qui ira loin”.
Au Parlement, les murs se souviennent ainsi encore d’un spectaculaire affrontement entre Maggie De Block et Zakia Khattabi concernant l'expulsion de demandeurs d'asile vers l'Afghanistan.
"Ce n'est pas parce que vous criez fort que ce sera la vérité, madame De Block!” avait lâché la sénatrice à une #Maggie, pourtant rarement décontenancée par une attaque.
C’est ce tempérament à oser monter carrément au créneau qui fait dire aussi aujourd’hui à la candidate: “Osons choquer quelques âmes sensibles plutôt que courir le risque d’être inaudibles”.
Plus effacé, son colistier cinacien Patrick Dupriez n’en pèse pas moins. Ancien Président du Parlement Wallon, c’est une “belle machine cérébrale”, passionné notamment par l’Amérique Latine (l’équatorien Rafael Correa compte au nombre de ses amis) et les pays du Sud. Et riche, comme atout électoral interne, d’un passé Ecolo pur jus, avec une connaissance forte des enjeux.
Pour le tandem, finalement très pragmatique, et qui se défend du radicalisme que d’aucuns lui prêtent, il vaut mieux une stratégie de progression plus lente et plus durable aux “bulles électorales” qui explosent dès qu’Ecolo accède au soleil du pouvoir.
Le duo entend relayer davantage les colères sociales, redevenir davantage présent dans les mouvements sociaux. Et de miser donc sur l’enracinement local, l’associatif et la société civile, notamment en allant y chercher des figures extérieures.
“Petites culottes, spéculoos et peau de banane”
C’est en partie par opposition à ce solide duo que serait
né, vite fait sur le gaz, le tandem Deltour-Doulkeridis.Si la mouscronnoise aux lunettes vertes Chloé Deltour est tout aussi inconnue que ne le fut jadis Marie Corman, éphémère colistière de Bernard Wesphael en 2012, sa démarche est clairement plus pro-active. Car, dit-on, soutenue, voire poussée par des tenants d’une ligne “plus centriste”.
Quant à Christos Doulkeridis, il sait assurément, avec l’expérience, qu’une telle candidature -qui donne plein de visibilité médiatique- est, qu’on en sorte gagnant ou perdant, toujours bonne à prendre pour tout politique.
On soupçonne d’ailleurs fort ce dernier d’avoir inventé le curieux jeu de mots de sa candidature: «NoMiDo». (l’inverse du domino: “quand quelqu’un se relève, il aide les autres à se relever”).
L’homme s’y connaît en mots: c’est le même Doulkeridis qui avait obligé jadis Jacky Morael à placer trois mots improbables dans une interview à la RTBF: “petite culotte”, “spéculoos” et “peau de banane”.
Nollet: renforcer les liens avec Groen
Sans entrer dans toutes les subtilités de la faune et flore Ecolo, on en est là: une aile se positionnant pour “faire de la politique” commeil se doit à un parti, et une autre se voulant “plus gestionnaire”. Bref, de réelles différences d’approche.
Et, à l’écart, sur le banc de touche, un personnage influent comme Jean-Marc Nollet. Qui, bien servi médiapolitiquement par son rôle de chef de groupe à la Chambre -de concert avec le Groen Kristof Calvo, l’opposition verte se fait remarquer- attend que l’horloge des inévitables crises écologiques à venir (#blackout, nucléaire…) lui soit à nouveau favorable. Et, en attendant, pousse à renforcer, autant que Groen le voudra, les liens avec les Ecolos du Nord. Qui sortent tout juste, eux aussi, d’une compétition pour la présidence, un certain “effet Meyrem Almaci” semblant d’ailleurs fonctionner en Flandre. (10% d’affiliations de plus)
Un gros noeud interne: les relations entre wallons et bruxellois
On oublie par trop souvent qu’Ecolo, aujourd’hui souvent proche du Mouvement Ouvrier Chrétien, fut, à sa naissance, bien plus laïque. Et que nombre de ses fondateurs étaient issus du Rassemblement Wallon. Pour un Paul Lannoye, fédéralisme et écologie étaient d’ailleurs indissociables. Or, ce sont les relations entre écologistes bruxellois et wallons qui risquent, demain, d’être le plus gros noeud interne pour le parti Ecolo. Si vous tendez l’oreille, vous entendrez bien des cadres bruxellois se plaindre du poids des volontés wallonnes. Ou mettre en avant la bonne qualité de leur participation gouvernementale bruxelloise. Là ou la nouvelle majorité wallonne PS-cdH reporte ou modifie nombre des acquis “à l’arraché” des ministres écologistes wallons.
Si vous tendez encore plus l’oreille, vous entendrez certains écolos wallons vivre encore avec bien de la frustration. Celle notamment de n’avoir pu envisager de s’allier jadis (2009) aux libéraux en Wallonie et ce en raison du “blocage” des bruxellois.
Une Belgique à quatre régions
Ce n’est sans doute pas par hasard si Jean-Michel Javaux
évolue, mine de rien, vers une structure institutionnelle à quatre régions. Alors que ce n’est pas évident du tout dans un parti ou le régionalisme n’a jamais été acquis autrement “qu’entre les lignes”. Et ce qui postule à tout le moins une solide mise en veilleuse de la Communauté française, fut-elle rebaptisée Fédération Wallonie-Bruxelles. Comme quoi il faudra vraiment bien lire ce qui diront les duos de candidats pour ce qui est de ce point devenu très délicat chez Ecolo: les relations entre Bruxelles et la Wallonie.
Quelle stratégie les écolos adopteront-ils cette fois pour reconquérir l’opinion? Réponse en mars. Une certitude: en politique, surtout chez Ecolo, chacun est enfermé dans la matière de son parti.
Michel HENRION
(1) La Boisserie, le refuge du général De Gaulle à
Colombey-les-Deux-Eglises.
(2) “Générations vertes: Regards croisés de Jacky Morael sur
30 ans d’écologie politique”(Editions Etopia).
(3) La position officielle de Jean-Michel Javaux est de dire qu'il n'était "ni demandeur ni candidat sauf "black out politique vert" qui ne s'est pas passé"