Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 2 février 2015

Pourquoi il faut repérer les “mots de la peur” dans les discours des partis… (MBelgique Hebdo du 23/01/2015)

 
“Je ne parlerais assurément pas d’ “Etat de Guerre”, rectifiait l’autre jour André Van Doren, le grand patron de l’ OCAM, entendez l’organisme qui évalue au jour le jour les menaces terroristes et extrémistes à l'encontre de la Belgique. La mise au point était opportune, car les mots ont un sens.
Gwendolyn Rutten: l'idéologie du "moins d'Etat"
Malgré 17 morts, en France, François Hollande a veillé, lui, à ne pas utiliser le mot “guerre”, mot médiapolitique de la peur s’il en est. Avec raison puisqu’il s’agit là d’une menace ultime à la sécurité publique.

En communication, ces jours-ci, à écouter les politiques, il faut plus que jamais s’efforcer de repérer les mots de la peur. Car, depuis la nuit des temps, en politique, l’appel à la peur (“le pire est à craindre”) est une ficelle de com’ quasi imposée.

Tout politique sait depuis longtemps que la peur est le meilleur moyen d’obtenir un soutien presque inconditionnel à tout pouvoir, tout gouvernement.

A preuve, en Belgique,  les réactions  de l’opposition, devinant fort bien “au feeling” que toute critique forte des mesures sécuritaires de la #Suédoise serait extrêmement mal perçue par un citoyen souvent anxieux, angoissé.

Non point tellement par le réel, mais par un “réel anticipé” par l’imagination bien avant qu’il ne surgisse. (à Verviers, nos forces de sécurité n’ont déjoué, de manière finalement très rassurante, qu’une menace d’attentat).

L’ennui, avec la peur, c’est qu’elle est communicative. Et que les angoisses sont contagieuses, voire irrationnelles. Le plus bel exemple absurde de la semaine (il en est d’autres) est sans doute ce directeur d’une école de Halle qui a privé ses écoliers d’une visite au Théâtre de la Monnaie jugé “trop près du commissariat de police de Bruxelles-Ville.”  La peur, c’est aussi  beaucoup d’imagination.



Une phrase forte venue d’Algérie





François Hollande et Charles Michel avaient un problème commun: un déficit de popularité. Comme quoi en politique, rien n’est jamais joué, celle du Président français vient de se redresser spectaculairement. Et en évitant de basculer dans un discours par trop sécuritaire, en obtenant notamment  une remarquée  déclaration commune des cultes reconnus et de la laïcité  (rappelant notamment le respect de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et les valeurs universelles des Lumières)  le Premier Ministre espère, lui aussi, avoir pris davantage de stature. Tout boni assurément pour lui et sa #Suédoise. Tout comme pour Bart De Wever et ses ministres N-VA au Nord et même au Sud, nombre de francophones appréciant soudain le côté sécuritaire des ministres nationalistes.

Charles Michel, pour l’occasion, a d’ailleurs repris la célèbre phrase (“La peur doit changer de camp”) de l’ancien Premier Ministre algérien Reda Malek, un ancien du FLN, qui fut des “sauveurs de la démocratie” qui annulèrent à l’époque la victoire électorale des extrémistes algériens du Front islamique du salut (FIS) .

Jolie citation de com’ mais avec deux bémols: d’une part, elle institue en soi déjà une menace voilée; d’autre part, la réalité est que la peur ne change jamais de camp: elle change juste d’objet.



Le belge veut une société sans risque



En Belgique comme ailleurs, c’est à chaque jour sa peur. Qu’on se souvienne des invraisemblables tonnes de stocks de vaccin anti-H5N1 financées par le gouvernement Leterme. C’est que le belge demande à ses politiques de le protéger de tout: du Black-out électrique, de la grippe aviaire, de la pollution, de la solitude, d’Ebola, du verglas pas assez salé sur les routes, du bruit des avions, des fermetures d’entreprise et, bien entendu, de Marc Dutroux, symbole absolu du moteur de l’angoisse belge.

Avec la nuance des risques mis en avant (à satiété le sentiment d’insécurité) et de ceux plutôt tus ou celés: le risque nucléaire, celui-là mis si possible en bruit médiatique minimal.

Les sondages le démontrent: chez les belges, l’amygdale -on parle ici du noeud central du cerveau  situé dans régions limbiques du lobe temporal- d’où part le “circuit de la peur”, fonctionne plutôt bien ces jours-ci.

D’aucuns font la file potron minet pour acheter Charlie Hebdo et, par là même, une belle image psy d’eux-mêmes. D’autres vivent plutôt le repli sur soi, à commencer par ces policiers retranchés dans leurs commissariats, ce qui surprend fort en France. Et tous les politiques, histoire de ne pas avoir l’air de rester en retrait, y vont de leur mesurette: ainsi en Wallonie, tous les acteurs de terrain (Forem, organismes d'insertion socioprofessionnelle) sont-ils désormais invités à alerter un “référent radicalisme”. Ca ne mange pas de pain.







La géométrie variable du politique



Le hic, c’est que protéger les belges contre ses peurs n’implique pas forcément la suppression du risque.

On l’a bien vu en France: le dispositif Vigipirate, qui fait que l’image militarisée fait depuis longtemps partie du paysage, n’a en rien freiné les exécuteurs des journalistes de Charlie Hebdo.

La #politiqueattitude du gouvernement Michel se contente pour l’heure d’ajustements sécuritaires, peu contestés dans l’ensemble, si ce n’est la controversée présence de l’armée dans les rues. Qui est apparue à nombre d’observateurs avertis comme tenant davantage de l’effet de com’ que de la sécurité augmentée.

Le professeur Ril Coolsaet (Université de Gand, expert en radicalisme) a été un des plus nets: “C’est plus du théâtre politique que de la protection contre le terrorisme”.

Le débat sur l’armée est simple: est-ce anxyogène où est-ce rassurant?

Et, étonnamment, en dehors du CD&V (qui maugrée en permanence autour de la table gouvernementale, mais pour d’autres raisons) ce sont les libéraux flamands qui ont le plus rechigné, histoire de se démarquer de cette bonne vieille idée de la N-VA.

Noël Slangen, le célèbre communicateur des libéraux du Nord, y est allé d’un tweet remarqué, soulignant en substance  “que l’armée dans les rues c’était déjà capituler devant les terroristes”

Mais l’OpenVLD a une caractéristique quasi légendaire: il y a toujours loin des grands principes à la réalité.

Dans le petit livre (“Le citoyen engagé”) qu’elle publiait l’an dernier pour la campagne électorale, Gwendolyn Rutten, la présidente de l’OpenVLD, développait sa vision de la “Privacy” et contestait la surveillance du Net, etc…

Léger hic: Bart J. Tommelein, actuellement Secrétaire d'État OpenVLD à la Protection de la vie privée applique aujourd’hui, au gouvernement #Michel1, bien des mesures parfois à l’exact opposé de ce qu’avait joliment écrit la plume de Gwendolyn.

Autre hic encore: le bourgmestre de Malines, Bart Somers, a fait sensation en s’exprimant contre la présence de l’armée puisque “dans un Etat démocratique, c’est à la police d’assurer la sécurité des citoyens”.  Mais c’est le même Bart Somers qui, en 2005, réclamait lui-même…des militaires pour soulager les forces de polices malinoises.

C’est ce qui fait le charme des partis: chacun a souvent ses contradictions internes.

Le PS n’est ainsi  pas partisan de l’armée dans les rues, dit-il,  mais certains de ses élus le revendiquent pour leur commune ou dans le métro bruxellois…



Bart et Xavier Waterslaeghers



Quant au quatuor De Wever- Jan Jambon (ministre de l’Intérieur) Steven Vandeput (ministre de la Défense Nationale) Théo Francken (Secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration) il domine littéralement (et fort bien) toute la communication au Nord puisque la N-VA s’est adjugée l’essentiel des “fonctions régaliennes” de l’Etat belge.

Bart De Wever poursuit son nouvel axe de communication: toujours maîtriser la situation, toujours expliquer,  toujours tout rationaliser. Avec le gimmick pour faire passer ses formules: “Quand je suis allé saluer les militaires mis en place à Anvers, ils étaient heureux de montrer qu’ils n’étaient pas Xavier Waterslaeghers attendant son plat du jour…”

Allusion à un des personnages de la série télé à succès “F.C. De Kampioenen”  ou le dénommé Xavier est un soldat  récurrent.

Ou encore sur un ton plus polémique, voire provo: " Anvers, c’est la Jérusalem du Nord, avec la plus grande communauté juive. C’est la plus susceptible d'être une cible"



La misère partagée de la Police, de la Justice et de l’Armée



Mais, effet collatéral, la soudaine apparition dans les rue de Paras-commandos ou des Chasseurs Ardennais (“Ceux qui ne sautent pas des avions” a cru devoir préciser Steven Vandeput) a subitement fait aussi apparaître au grand jour la misère dans laquelle est tombée notre Grande Muette depuis 2008. Dont on découvre qu’elle n’est plus du tout apte à rendre beaucoup de services à la Nation: accident Seveso, catastrophe d’ampleur, inondations: faute de formation et de matériel, l’armée belge (hors les opérations à l’étranger) serait devenue quasi factice.

“Si ça continue, lâche un spécialiste, l’armée belge, ce sera juste quelques F35”.

On en revient à un noeud politique.  Il y a un grand point commun entre organismes de sécurité, Justice, Police, Armée: tous demandent qu’on leur redonne des moyens budgétaires.

Et l’électeur, à la fois par raisonnement et par peur, entend bien qu’on donne satisfaction à tous ceux qui assurent sa sécurité. (78% des belges veulent leur donner plus de moyens financiers)





Une ligne idéologique





Or, il y a une ligne idéologique en calque du gouvernement suédois: pour les libéraux (surtout l’OpenVLD) et la puissante N-VA, la ligne est claire: “ Il faut moins d’Etat. L'Etat est trop lourd. Et il faut moins de cet Etat qui coûte trop cher”.

Gwendolyn Rutten a dit maintes fois son rêve idéologique: “Les autorités ne sont pas là pour tout résoudre.”

Ce qui n’est d’évidence pas toujours l’avis de l’électeur.

Ce qui n’est pas vraiment la philosophie actuelle du partenaire CD&V (plus de recettes, notamment par la fiscalité sur les plus riches).

Le risque de clash, en mars, lors du  fameux “contrôle budgétaire”, s’annonce donc un cap toujours mouvementé, surtout en termes de choix budgétaires, pour l’actuelle coalition.

De quoi, au 16 rue de la Loi, se faire encore un peu peur.



Michel HENRION