“Je ne parlerais assurément pas d’ “Etat de Guerre”, rectifiait l’autre jour André Van Doren, le grand patron de l’ OCAM, entendez l’organisme qui évalue au jour le jour les menaces terroristes et extrémistes à l'encontre de la Belgique. La mise au point était opportune, car les mots ont un sens.
Gwendolyn Rutten: l'idéologie du "moins d'Etat" |
Malgré 17 morts, en France,
François Hollande a veillé, lui, à ne pas utiliser le mot “guerre”, mot
médiapolitique de la peur s’il en est. Avec raison puisqu’il s’agit là d’une
menace ultime à la sécurité publique.
En communication, ces
jours-ci, à écouter les politiques, il faut plus que jamais s’efforcer de
repérer les mots de la peur. Car, depuis la nuit des temps, en politique,
l’appel à la peur (“le pire est à craindre”) est une ficelle de com’ quasi
imposée.
Tout politique sait depuis
longtemps que la peur est le meilleur moyen d’obtenir un soutien presque
inconditionnel à tout pouvoir, tout gouvernement.
A preuve, en Belgique, les réactions de l’opposition, devinant fort bien “au feeling” que toute
critique forte des mesures sécuritaires de la #Suédoise serait extrêmement mal
perçue par un citoyen souvent anxieux, angoissé.
Non point tellement par le
réel, mais par un “réel anticipé”
par l’imagination bien avant qu’il ne surgisse. (à Verviers, nos forces de
sécurité n’ont déjoué, de manière finalement très rassurante, qu’une menace d’attentat).
L’ennui, avec la peur, c’est
qu’elle est communicative. Et que les angoisses sont contagieuses, voire
irrationnelles. Le plus bel exemple absurde de la semaine (il en est d’autres)
est sans doute ce directeur d’une école de Halle qui a privé ses écoliers d’une
visite au Théâtre de la Monnaie jugé “trop près du commissariat de police de
Bruxelles-Ville.” La peur, c’est
aussi beaucoup d’imagination.
Une phrase forte venue
d’Algérie
François Hollande et Charles
Michel avaient un problème commun: un déficit de popularité. Comme quoi en
politique, rien n’est jamais joué, celle du Président français vient de se
redresser spectaculairement. Et en évitant de basculer dans un discours par
trop sécuritaire, en obtenant notamment
une remarquée déclaration
commune des cultes reconnus et de la laïcité (rappelant notamment le respect de la séparation de l’Eglise
et de l’Etat et les valeurs universelles des Lumières) le Premier Ministre espère, lui aussi,
avoir pris davantage de stature. Tout boni assurément pour lui et sa #Suédoise.
Tout comme pour Bart De Wever et ses ministres N-VA au Nord et même au Sud,
nombre de francophones appréciant soudain le côté sécuritaire des ministres
nationalistes.
Charles Michel, pour
l’occasion, a d’ailleurs repris la célèbre phrase (“La peur doit changer de
camp”) de l’ancien Premier Ministre
algérien Reda Malek, un ancien du FLN, qui fut des “sauveurs de la démocratie”
qui annulèrent à l’époque la victoire électorale des extrémistes algériens du
Front islamique du salut (FIS) .
Jolie citation de com’ mais
avec deux bémols: d’une part, elle institue en soi déjà une menace voilée;
d’autre part, la réalité est que la peur ne change jamais de camp: elle change
juste d’objet.
Le belge veut une société
sans risque
En Belgique comme ailleurs,
c’est à chaque jour sa peur. Qu’on se souvienne des invraisemblables tonnes de
stocks de vaccin anti-H5N1 financées par le gouvernement Leterme. C’est que le
belge demande à ses politiques de le protéger de tout: du Black-out électrique,
de la grippe aviaire, de la pollution, de la solitude, d’Ebola, du verglas pas
assez salé sur les routes, du bruit des avions, des fermetures d’entreprise et,
bien entendu, de Marc Dutroux, symbole absolu du moteur de l’angoisse belge.
Avec la nuance des risques
mis en avant (à satiété le sentiment d’insécurité) et de ceux plutôt tus ou
celés: le risque nucléaire, celui-là mis si possible en bruit médiatique
minimal.
Les sondages le démontrent:
chez les belges, l’amygdale -on parle ici du noeud central du cerveau situé dans régions limbiques du lobe
temporal- d’où part le “circuit de la peur”, fonctionne plutôt bien ces
jours-ci.
D’aucuns font la file potron
minet pour acheter Charlie Hebdo
et, par là même, une belle image psy d’eux-mêmes. D’autres vivent plutôt le
repli sur soi, à commencer par ces policiers retranchés dans leurs
commissariats, ce qui surprend fort en France. Et tous les politiques, histoire
de ne pas avoir l’air de rester en retrait, y vont de leur mesurette: ainsi en
Wallonie, tous les acteurs de terrain (Forem, organismes d'insertion
socioprofessionnelle) sont-ils désormais invités à alerter un “référent
radicalisme”. Ca ne mange pas de pain.
La géométrie variable du
politique
Le hic, c’est que protéger
les belges contre ses peurs n’implique pas forcément la suppression du risque.
On l’a bien vu en France: le
dispositif Vigipirate, qui fait que l’image militarisée fait depuis longtemps
partie du paysage, n’a en rien freiné les exécuteurs des journalistes de Charlie
Hebdo.
La #politiqueattitude du
gouvernement Michel se contente pour l’heure d’ajustements sécuritaires, peu
contestés dans l’ensemble, si ce n’est la controversée présence de l’armée dans
les rues. Qui est apparue à nombre d’observateurs avertis comme tenant
davantage de l’effet de com’ que de la sécurité augmentée.
Le professeur Ril Coolsaet
(Université de Gand, expert en radicalisme) a été un des plus nets: “C’est
plus du théâtre politique que de la protection contre le terrorisme”.
Le débat sur l’armée est
simple: est-ce anxyogène où est-ce rassurant?
Et, étonnamment, en dehors du
CD&V (qui maugrée en permanence autour de la table gouvernementale, mais
pour d’autres raisons) ce sont les libéraux flamands qui ont le plus rechigné,
histoire de se démarquer de cette bonne vieille idée de la N-VA.
Noël Slangen, le célèbre
communicateur des libéraux du Nord, y est allé d’un tweet remarqué, soulignant
en substance “que l’armée dans
les rues c’était déjà capituler devant les terroristes”
Mais l’OpenVLD a une
caractéristique quasi légendaire: il y a toujours loin des grands principes à
la réalité.
Dans le petit livre (“Le
citoyen engagé”) qu’elle publiait l’an dernier pour la campagne électorale,
Gwendolyn Rutten, la présidente de l’OpenVLD, développait sa vision de la “Privacy” et contestait la surveillance du Net, etc…
Léger hic: Bart J. Tommelein,
actuellement Secrétaire d'État OpenVLD à la Protection de la vie privée
applique aujourd’hui, au gouvernement #Michel1, bien des mesures parfois à
l’exact opposé de ce qu’avait joliment écrit la plume de Gwendolyn.
Autre hic encore: le
bourgmestre de Malines, Bart Somers, a fait sensation en s’exprimant contre la
présence de l’armée puisque “dans un Etat démocratique, c’est à la police
d’assurer la sécurité des citoyens”.
Mais c’est le même Bart Somers
qui, en 2005, réclamait lui-même…des militaires pour soulager les forces de
polices malinoises.
C’est ce qui fait le charme
des partis: chacun a souvent ses contradictions internes.
Le PS n’est ainsi pas partisan de l’armée dans les rues,
dit-il, mais certains de ses élus
le revendiquent pour leur commune ou dans le métro bruxellois…
Bart et Xavier
Waterslaeghers
Quant au quatuor De Wever-
Jan Jambon (ministre de l’Intérieur) Steven Vandeput (ministre de la Défense
Nationale) Théo Francken (Secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration) il
domine littéralement (et fort bien) toute la communication au Nord puisque la
N-VA s’est adjugée l’essentiel des “fonctions régaliennes” de l’Etat belge.
Bart De Wever poursuit son
nouvel axe de communication: toujours maîtriser la situation, toujours
expliquer, toujours tout
rationaliser. Avec le gimmick pour faire passer ses formules: “Quand je suis
allé saluer les militaires mis en place à Anvers, ils étaient heureux de
montrer qu’ils n’étaient pas Xavier Waterslaeghers attendant son plat du jour…”
Allusion à un des personnages
de la série télé à succès “F.C. De Kampioenen” ou le
dénommé Xavier est un soldat
récurrent.
Ou encore sur un ton plus
polémique, voire provo: " Anvers, c’est la Jérusalem du Nord, avec la
plus grande communauté juive. C’est la plus susceptible d'être une cible"
La misère partagée de la
Police, de la Justice et de l’Armée
Mais, effet collatéral, la
soudaine apparition dans les rue de Paras-commandos ou des Chasseurs Ardennais (“Ceux
qui ne sautent pas des avions” a cru
devoir préciser Steven Vandeput) a subitement fait aussi apparaître au grand
jour la misère dans laquelle est tombée notre Grande Muette depuis 2008. Dont
on découvre qu’elle n’est plus du tout apte à rendre beaucoup de services à la
Nation: accident Seveso, catastrophe d’ampleur, inondations: faute de formation
et de matériel, l’armée belge (hors les opérations à l’étranger) serait devenue
quasi factice.
“Si ça continue, lâche un spécialiste, l’armée belge, ce sera
juste quelques F35”.
On en revient à un noeud
politique. Il y a un grand point
commun entre organismes de sécurité, Justice, Police, Armée: tous demandent
qu’on leur redonne des moyens budgétaires.
Et l’électeur, à la fois par
raisonnement et par peur, entend bien qu’on donne satisfaction à tous ceux qui
assurent sa sécurité. (78% des belges veulent leur donner plus de moyens
financiers)
Une ligne idéologique
Or, il y a une ligne
idéologique en calque du gouvernement suédois: pour les libéraux (surtout
l’OpenVLD) et la puissante N-VA, la ligne est claire: “ Il faut moins d’Etat.
L'Etat est trop lourd. Et il faut moins de cet Etat qui coûte trop cher”.
Gwendolyn Rutten a dit
maintes fois son rêve idéologique: “Les autorités ne sont pas là pour tout
résoudre.”
Ce qui n’est d’évidence pas
toujours l’avis de l’électeur.
Ce qui n’est pas vraiment la
philosophie actuelle du partenaire CD&V (plus de recettes, notamment par la
fiscalité sur les plus riches).
Le risque de clash, en mars,
lors du fameux “contrôle
budgétaire”, s’annonce donc un cap toujours mouvementé, surtout en termes de
choix budgétaires, pour l’actuelle coalition.
De quoi, au 16 rue de la Loi,
se faire encore un peu peur.
Michel HENRION