En communication, en
médiapolitique, l’efflet de souffle de #Charlie restera un événement majeur.
Qui se résume en une question: qui aurait cru, à l’annonce sidérante du
carnage, que des millions de personnes, dans cette société qu’on dit si
individualiste, voire si égoïste, se lèveraient et marcheraient ainsi ensemble
dans une incroyable émotion solidaire. Houellebecq s’est trompé: il n’y a pas
de “Soumission”. Grâce à une
formidable démonstration du poids de l’indispensable société civile.
Et c’est l’écrivain Erik
Orsenna qui a lâché la phrase sans doute la plus forte: “Maintenant, les
politiques ont des devoirs”.
De fait.
Le Ministre de l'Intérieur Jan Jambon (N-VA) |
A commencer par celui de
prendre de la hauteur. D’arrêter de se prendre pour des comptables ou, parfois
pire, de pseudo économistes. De limiter cette communication soi-disant de
proximité qui dévalorise l’image même de l’action politique (notre Premier
Ministre, quelques heures avant que les dessinatueurs n’exécutent #Charlie, jugeait encore bon d’envoyer la
photo de son “attentat” au Musée de la Frite). De consacrer les budgets ad hoc
à ce qui est indispensable à court terme (la sécurité) ou à long terme
(l’éducation).
Tout le monde connaît, au
fond, les “devoirs” des politiques: à savoir vraiment s’emparer des problèmes
de fond.
Les zones les plus
paupérisées en Belgique sont souvent loin d'être les plus violentes. Et il est
vrai que la culture de l’excuse sociale n’a jamais rien expliqué en matière
criminelle ou terroriste. Par contre, elle malmène le “vivre ensemble”. Donc,
on ne peut plus fermer les yeux sur certains ghettos. Donc, il faut sortir des
bla-bla convenus pour que les jeunes en désarroi échappent, à terme, par
l’emploi aux tentations sectaires. Endiguer la haine et, pour d’aucuns, au sein
de leur propre formation politique. Cela suffit que des présidents de parti
laissent des élus propager des idées populistes, sinon extrémistes. Cela suffit
que d’aucuns, souvent par pur calcul électoral, pointent sans cesse des
communautés. Il faut oser le constat: une certaine médiocrité (on sait, le mot
est fort) a gagné du terrain dans les rangs des politiques belges, tous partis
confondus.
UN seul engagement en 2015
pour le RAID belge
Il y a d’évidence deux clés
d’action, quasi immédiates, pour tout décideur:
-
Veiller à ce que nos
services de renseignements et d’intervention disposent de tous les moyens
nécessaires. Ce n’est pas le cas. Si la Belgique dispose d’un excellent groupe
d’intervention, avec des hommes très impliques, très compétents, très motivés
(qui n’ont pas grand chose à envier au RAID ou au GIGN, sauf l’expérience)
ceux-ci souffrent de matériel vieillot et de sous-effectifs. Accrochez-vous:
selon les informations de M…Belgique,
le ministre N-VA Jambon aurait autorisé un (vous avez bien lu: un seul)
recrutement "exceptionnel" pour cette année. Donc, en 2016, il y aura
UN renfort ( ben oui, il faut
environ une année pour le recrutement et la formation ) En réalité, il manque
des dizaines de personnes au CGSU, le groupe fédéral d’intervention spécialisé.
(toutes sections confondues, toutes spécialisations confondues)
-
S’emparer de l’arme de
la culture générale. C’est invraisemblable que dès qu’on entend toucher à
l’enseignement, dans ce pays, tout se bloque (on l’a encore vu l’an dernier, en
Flandre, avec l’influence du pilier chrétien). C’est insupportable qu’on force
encore; en 2015, nos gamins à se
séparer à l’heure ou des cours communs de philosophie vulgarisant les valeurs
des différentes confessions et de la laïcité seraient une arme essentielle
contre les haines nées de l’ignorance de l’autre et de l’inculture.
Le flamand n’aime pas les
débats d’idées “à la française”
.
Si la Belgique francophone,
la “démocratie” wallonne et bruxelloise, a l’habitude d’importer
les émois franco-français, la
“démocratie du Nord” chère à De Wever n’en a généralement cure. Pourtant
#Charlie, de manière certes plus light, a aussi marqué la Flandre. Où l’on a vu
aussi des flamands se réunir pour marcher, notamment à Gand. Où l’on se
préoccupe itou des valeurs du “Vivre Ensemble” de plus en plus mises en cause.
Il faut savoir qu’au Nord, on
n’aime pas trop les grands débats d’idées à la française (davantage prisés
pourtant aux Pays Bas).
L’effet #Charlie vivra-t-il
longtemps? Une certitude: pour
l’heure, une jolie “fenêtre d’opportunité” s’est ouverte. Une période rare où
l’on pourra débattre de sujets habituellement tabous. Mais dans tous les sens.
L’autre soir, à la VRT, un Reyers Laat avec De Wever parfait représentant d’une certaine droite décomplexée-
mixait ainsi un intéressant débat d’idées avec, hélas, les traditionnelles
caricatures polarisées…
Le clivage #Charlie, en
Belgique, ne sera guère communautaire: comme tout en Belgique ces derniers
mois, c’est l’axe gauche-droite qui prédominera.
Manifester pour la liberté
et en avoir…moins?
En Belgique, comme en Europe,
on risque donc fort un incroyable paradoxe: des manifestations historiques pour
la liberté d’expression risquent, si on n’y prend garde, de déboucher sur des
restrictions des mêmes libertés.
L’après 11 septembre l’a
prouvé: l’attitude négative de ceux “qui veulent faire la guerre à l’Islam”
recoupe un moment l’attitude, plus positive, de ceux “qui veulent combattre
juste le terrorisme”. A un moment, le climat conjoint crée par les deux
attitudes engendre un dangereux raidissement de l’Etat. Gare, en Belgique
aussi, aux lois antiterroristes, votées dans un large consensus émotionnel,
mais parfois inutilement attentatoires aux libertés.
L’annuaire inutile de Jan
Jambon
Il est peu de voix, dans ce
contexte actuel (la stratégie terroriste actuelle vise à mener à bien des actes
très spectaculaires, visant des symboles) pour ramener le terrorisme actuel à
ses justes estimations.
Le criminologue français
Alain Bauer, expert en terrorisme et en religions, est de ceux qui osent
appeler un chat un chat. A contre-courant. Son constat est simple:
-L’Union Européenne est
finalement, statistiquement, peu frappée par des attentats (il y a davantage,
dit-il avec un brin de provocation, de victimes de violences conjugales)
-la plupart des attentats
commis sont le fait de gens qu'on a empêché d'aller faire le djihad en Syrie et
pas de gens qui en seraient revenus.
-Il faudrait, selon Bauer,
davantage parler d’”adaptation culturelle” des services de renseignements que seulement de moyens. “Il faut, dit-il, travailler sur la qualité et le contenu.
Que des agents de terrain extrêmement efficaces et des universitaires
travaillent ensemble à modifier leur approche. La collecte de renseignements
est très performante. Mais, l’analyse de ces renseignements est défaillante.
Les terroristes avaient été repérés. Mais, on n’a pas su quoi faire de ces
informations. Si on ose une comparaison avec l’habillement, il faut sortir du
prêt à porter pour aller vers du sur-mesure.”
Quant à l’idée du ministre de
l’Intérieur (N-VA) Jan Jambon d’une liste européenne des combattants étrangers
ralliant le djihad, Bauer la pulvérise dans La Libre: “Cette liste existe déjà mais la compilation de
données n’empêche jamais rien
: c’est une obsession médiatico-politique que d’annoncer des listes, des listes
et encore des listes. Quand vous mettez tout le monde sur des listes, vous n’y
mettez plus personne. Cela devient l’annuaire du téléphone.”
Médiocre bourgmestre de
Brasschaat, Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, est d’ailleurs, en interne à
la N-VA, considéré comme une déception du “casting nationaliste”.
C’est le danger pour la
Belgique: au lieu d’oser débattre des grandes questions de société qui peuvent
déranger ou diviser, le risque est qu’on se contente de mitonner, de ravaler
une nouvelle lasagne de lois, juste histoire de rassurer. Et surtout d’ éviter
de penser plus loin.
La Belgique, tant au Nord
qu’au Sud, adore décidément la politique de l’autruche.
Michel HENRION