Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 18 février 2015

Faute de budgets, nos décideurs se rabattent sur la com du “constat d’échec” (chronique de MBelgiqueHebdo du 6/2/2015!

 
L’autre matin, poussant la porte d’un night-shop, je n’en ai pas cru mes yeux. Entre les barres chocolatées et les cannettes énergisantes,
s’affichait paisiblement une montagne d’exemplaires de Charlie Hebdo, de ce numéro mythico-historique  qu’on s’arrachait encore hystériquement  il y a peu, dès potron-minet.
C’est qu’il s’éloigne déjà à toute vibrure, l’esprit #JesuisCharlie.
C’est déjà à peine si d’aucuns se souviennent qu’il avait été inventé pour davantage de liberté d’expression.
Pour, à l’instar de Charb, Cabu, Wolinksi  et de toute cette rédaction libertaire exécutée pour crime de caricature, dénoncer tous les sectarismes.
C’est un sociologue français qui a eu cette forte formule: “On n’a pas vendu sept millions d’exemplaires d’un journal, mais sept millions d’hosties”.
Le phénomène presque para-religieux a déjà un nom médiapolitique: le “Charlisme”.
Avec, comme comparaison qui saute aux yeux, l’un de ces torrents d’orage, sauvages et spectaculaires, qu’on aperçoit de temps à autre dans les Journaux télévisés:  un flux charriant tout et n’importe quoi. Souvent le pire, parfois le meilleur.

La liberté permet-elle des entorses aux libertés?

L’ “union nationale” –un concept un brin pittoresque chez nous avec des ministres nationalistes flamands au 16 rue de la Loi- n’aura été que fort éphémère, tant en Belgique qu’outre-Quiévrain. Les pénibles luttes d’ego, les combats de chiffoniers et de “point Godwin” sont déjà de retour.
Le phénomène #CharlieHebdo, avec toute son énergie citoyenne,  postulait l’affirmation de la liberté d’expression: le #Charlisme falsifie; s’en prend aux apostats qui n’entendent pas (et c’est d’ailleurs leur liberté) “être forcément de la tribu Charlie”.
Le #Charlisme a ses dérives: il permet, mine de rien, puisque cette fameuse liberté d’expression serait menacée, d’imposer en douce, en son nom, bien trop de sécurité… Et pour d’aucuns, le #Charlisme va encore plus loin: le combat contre le terrorisme impliquerait volontiers jusqu’à des entorses aux libertés.
C’est la maladie qui a frappé les Etats-Unis au lendemain du 9/11 et dont la démocratie américaine ne s’est pas encore remise.
Claude Guéant, en France, ex Ministre de l’Intérieur de Sarkozy, y est allé ainsi d’une formule hard qui résume tout: “Il y a des libertés qui peuvent être facilement abandonnées”.

Ministère de la Peur et du Budget.

La pensée politique est souvent paresseuse: elle l’est d’autant plus  lorsque, en toile de fond,  il n’y a guère de moyens budgétaires pour agir vraiment, pour développer de nouveaux terrains d’action politique.
Le Ministère de la Peur est plus facile à gérer que le Ministère du Budget.
C’est ce qui explique l’incroyable déluge de mesures (certaines découlant de la Directive Européenne) et d’idées  de #Charlismes en tout genre.  Genre réinstaurer un service civil sinon militaire (tout politique parle habilement “d’étudier” l’idée puisqu’il est le premier à savoir qu’elle est totalement impayable pour l’Etat)

Il en est de plus adéquates: comme celle, soutenue par le MR Denis Ducarme, d’un “point de contact internet” à la française pour alerter d’incitations au terrorisme sur le Net. Le même Ducarme a déposé une nouvelle proposition de loi pour que la notion, floue, d’apologie du terrorisme soit, à l’instar du négationnisme, sanctionnée en droit belge. Amusant: une proposition similaire avait jadis été déposée au Sénat par un tandem Destexhe-Lizin…
Curieux climat psychologique. Ou chaque jour voit se multiplier alertes à la bombe-bidon ou interventions peu réfléchies. (un paisible boulanger de Molembeek, soudain menacé par des mitraillettes)
Ou on voit soudain s’installer dans le vocabulaire politique belge la formule “belge de souche”, une expression jusqu’ici plutôt réservée à Marine le Pen.
Ou rare sont ceux qui, comme la présidente libérale du Sénat Christine Defraigne, ont le réflexe #Charlie lorsque d’aucuns, au MR et à la N-VA, entendent priver de sa nationalité jusqu’au petit-fils d’un belge naturalisé.

Le délire du CD&V

Une ligne d’analyse traverse tout cela: l’Etat est désargenté. C’est ce manque de budgets qui explique les paras-commandos dans nos rues et, incidemment, l’incroyable gueguerre politique entre la N-VA de Bart De Wever et le CD&V de Kris Peeters, signe que la peur produit aussi tous les délires. (pour rappel, l’idée éventée et naïve du CD&V était de susciter posts et tweets de ses militants pour que les N-VA Jan Jambon et Steven Vandeput retirent les soldats censés plutôt lutter contre “l’ennemi extérieur”)

La mode com’ du “constat d’échec”

C’est ce qui produit aussi un nouveau style de communication, très étonnant.
C’est la mode médiapolitique du “constat d’échec”.
Dont la particularité est juste d’en poser un mais sans lui donner de solution; ou alors un minimum vital, juste pour faire joli.
Ainsi, le Premier Ministre a-t-il posé récemment le “constat de l’échec de la lutte contre l’antisémitisme”.
Ainsi, d’autres personnalités politiques mettent-elles récuremment en avant leur “constat de l’échec de l’intégration”.
Point commun: dans les deux cas, on n’entend pas grand chose comme propositions de solutions.
On crée juste un climat anxyogène qui ne sert en rien le “Vivre Ensemble”.

Pour éviter les dérives: simplement dégager des budgets

Explication toujours et encore: l’argument des économies linéaires, du manque d’argent, bref de pognon. Qui peut donc avoir pour conséquence, en “situation exceptionnelle”,  de tordre parfois un brin le bras à la démocratie belge.
Or, il y a un moyen tout simple de ne pas attenter à nos libertés: c’est de simplement donner les budgets nécessaires pour que Sûreté de l’Etat, OCAM, Police et autres Office central de lutte contre la criminalité informatique, soient pleinement efficaces. Sans oublier les prisons, haut lieu de radicalisation.
Car tous ces gens là font, le plus souvent, tout ce qu’il faut et fort bien à conditions qu’ils en aient les moyens. (les policiers censés lutter contre le crime informatique en sont réduits à acheter de leurs deniers du matériel updaté).
Car dès qu’il y efficacité des moyens dans ces secteurs, les citoyens sont protégés.
Et c’est là une vision valable tant pour la gauche que pour la droite.

Des bonds de sondage toujours éphémères


Les récents sondages l’ont montré: les belges valident le sécuritaire. Mais tous les spécialistes en études d’opinion sont aussi d’accord sur un point: ces élans, dans la foulée d’attentats ou d’événements graves, sont toujours inévitablement éphémères. Bush père et fils en ont fait l’expérience tout comme bien d’autres dirigeants mondiaux. Ce sera le cas pour Hollande (l’homme en gardera sans doute l’acquis d’une certaine stature présidentielle) ou Bart De Wever (le leader de la N-VA et ses ministres auront cependant  décroché au passage la “légitimité de gestion fédérale” qui leur manquait)

Changer le terreau social


Faute de moyens toujours, par démagogie parfois,  nombre d’hommes politiques continuent à faire leurs gammes sur la partition usée de la sécurité, voire de la peur.
L’air sécuritaire est connu depuis 20 ans:  or, c’est dans une perspective à 20 ans qu’il faut agir désormais.
Avec surtout –c’est tout sauf un poncif- la clé de l’éducation. 
La ministre Milquet (cdH)  est timide lorsqu’elle concède des “cours de civisme et de philosophie “ dès seulement 6 ans. C’est plus tôt (4 ans) qu’il faut commencer à agir si on veut éviter des propos du type de celui du petit Ahmed, 8 ans, au commissariat pour “incitation au terrorisme”.
Et nos politiques de premier plan  feraient bien de se saisir de ces débats de “terreau social” qui n’agitent jusqu’ici que quelques discrètes commissions parlementaires.
Avec quels budgets reconstruire encore des écoles non-containers, rénover des quartiers, arrêter d’envoyer les familles en difficulté toujours dans les mêmes zones “difficiles”?
Oui, on parle beaucoup du “fait religieux”. Qui fait notamment que certaines jeunes filles belges d’origine allochtone, malgré parfois bien des diplomes, se replient pourtant surleur communauté. Parce qu’on ne leur donne pas d’emploi.

L’enjeu crucial de l’égalité hommes/femmes

Que fait vraiment ce pays pour assurer une meilleure égalité hommes-femmes? Que font nos politiques; de tous niveaux de pouvoir, pour assurer un avenir professionnel aux jeunes diplomées d’origine allochtone qui, déjà, de par leur milieu, ne se considèrent déjà pas toujours comme les égales de l’homme?
Un bébé sur deux en Belgique naît hors mariage: la société belge évolue à toute vibrure mais nos politiques, apparemment,font mine de l’ignorer.
Le tout sécuritaire, c’est une peur: c’est le #Charlisme.
Les combats sociétaux de progrès à long terme, c’est très #JeSuisCharlie.


Michel HENRION