L’autre matin, poussant la
porte d’un night-shop, je n’en ai pas cru mes yeux. Entre les barres chocolatées
et les cannettes énergisantes,
s’affichait paisiblement une
montagne d’exemplaires de Charlie Hebdo, de ce numéro mythico-historique qu’on s’arrachait encore
hystériquement il y a peu, dès
potron-minet.
C’est qu’il s’éloigne déjà à
toute vibrure, l’esprit #JesuisCharlie.
C’est déjà à peine si
d’aucuns se souviennent qu’il avait été inventé pour davantage de liberté
d’expression.
Pour, à l’instar de Charb,
Cabu, Wolinksi et de toute cette
rédaction libertaire exécutée pour crime de caricature, dénoncer tous les
sectarismes.
C’est un sociologue français
qui a eu cette forte formule: “On n’a pas vendu sept millions d’exemplaires
d’un journal, mais sept millions d’hosties”.
Le phénomène presque
para-religieux a déjà un nom médiapolitique: le “Charlisme”.
Avec, comme comparaison qui
saute aux yeux, l’un de ces torrents d’orage, sauvages et spectaculaires, qu’on
aperçoit de temps à autre dans les Journaux télévisés: un flux charriant tout et n’importe
quoi. Souvent le pire, parfois le meilleur.
La liberté permet-elle des
entorses aux libertés?
L’ “union nationale” –un
concept un brin pittoresque chez nous avec des ministres nationalistes flamands
au 16 rue de la Loi- n’aura été que fort éphémère, tant en Belgique
qu’outre-Quiévrain. Les pénibles luttes d’ego, les combats de chiffoniers et de
“point Godwin” sont déjà de retour.
Le phénomène #CharlieHebdo,
avec toute son énergie citoyenne,
postulait l’affirmation de la liberté d’expression: le #Charlisme
falsifie; s’en prend aux apostats qui n’entendent pas (et c’est d’ailleurs leur
liberté) “être forcément de la tribu Charlie”.
Le #Charlisme a ses dérives:
il permet, mine de rien, puisque cette fameuse liberté d’expression serait
menacée, d’imposer en douce, en son nom, bien trop de sécurité… Et pour d’aucuns,
le #Charlisme va encore plus loin: le combat contre le terrorisme impliquerait
volontiers jusqu’à des entorses aux libertés.
C’est la maladie qui a frappé
les Etats-Unis au lendemain du 9/11 et dont la démocratie américaine ne s’est
pas encore remise.
Claude Guéant, en France, ex
Ministre de l’Intérieur de Sarkozy, y est allé ainsi d’une formule hard qui
résume tout: “Il y a des libertés qui peuvent être facilement abandonnées”.
Ministère de la Peur et du
Budget.
La pensée politique est
souvent paresseuse: elle l’est d’autant plus lorsque, en toile de fond, il n’y a guère de moyens budgétaires pour agir vraiment,
pour développer de nouveaux terrains d’action politique.
Le Ministère de la Peur est plus facile à gérer que le Ministère du Budget.
C’est ce qui explique
l’incroyable déluge de mesures (certaines découlant de la Directive Européenne)
et d’idées de #Charlismes en tout
genre. Genre réinstaurer un service
civil sinon militaire (tout politique parle habilement “d’étudier” l’idée
puisqu’il est le premier à savoir qu’elle est totalement impayable pour l’Etat)
Il en est de plus adéquates:
comme celle, soutenue par le MR Denis Ducarme, d’un “point de contact internet”
à la française pour alerter d’incitations au terrorisme sur le Net. Le même
Ducarme a déposé une nouvelle proposition de loi pour que la notion, floue,
d’apologie du terrorisme soit, à l’instar du négationnisme, sanctionnée en
droit belge. Amusant: une proposition similaire avait jadis été déposée au
Sénat par un tandem Destexhe-Lizin…
Curieux climat psychologique.
Ou chaque jour voit se multiplier alertes à la bombe-bidon ou interventions peu
réfléchies. (un paisible boulanger de Molembeek, soudain menacé par des
mitraillettes)
Ou on voit soudain
s’installer dans le vocabulaire politique belge la formule “belge de souche”,
une expression jusqu’ici plutôt réservée à Marine le Pen.
Ou rare sont ceux qui, comme
la présidente libérale du Sénat Christine Defraigne, ont le réflexe #Charlie
lorsque d’aucuns, au MR et à la N-VA, entendent priver de sa nationalité
jusqu’au petit-fils d’un belge naturalisé.
Le délire du CD&V
Une ligne d’analyse traverse
tout cela: l’Etat est désargenté. C’est ce manque de budgets qui explique les
paras-commandos dans nos rues et, incidemment, l’incroyable gueguerre politique
entre la N-VA de Bart De Wever et le CD&V de Kris Peeters, signe que la
peur produit aussi tous les délires. (pour rappel, l’idée éventée et naïve du
CD&V était de susciter posts et tweets de ses militants pour que les N-VA Jan
Jambon et Steven Vandeput retirent les soldats censés plutôt lutter contre
“l’ennemi extérieur”)
La mode com’ du “constat
d’échec”
C’est ce qui produit aussi un
nouveau style de communication, très étonnant.
C’est la mode médiapolitique
du “constat d’échec”.
Dont la particularité est
juste d’en poser un mais sans lui donner de solution; ou alors un minimum
vital, juste pour faire joli.
Ainsi, le Premier Ministre
a-t-il posé récemment le “constat de l’échec de la lutte contre
l’antisémitisme”.
Ainsi, d’autres personnalités
politiques mettent-elles récuremment en avant leur “constat de l’échec de
l’intégration”.
Point commun: dans les deux
cas, on n’entend pas grand chose comme propositions de solutions.
On crée juste un climat
anxyogène qui ne sert en rien le “Vivre Ensemble”.
Pour éviter les dérives:
simplement dégager des budgets
Explication toujours et
encore: l’argument des économies linéaires, du manque d’argent, bref de pognon.
Qui peut donc avoir pour conséquence, en “situation exceptionnelle”, de tordre parfois un brin le bras à la
démocratie belge.
Or, il y a un moyen tout
simple de ne pas attenter à nos libertés: c’est de simplement donner les
budgets nécessaires pour que Sûreté de l’Etat, OCAM, Police et autres Office
central de lutte contre la criminalité informatique, soient pleinement
efficaces. Sans oublier les prisons, haut lieu de radicalisation.
Car tous ces gens là font, le
plus souvent, tout ce qu’il faut et fort bien à conditions qu’ils en aient les
moyens. (les policiers censés lutter contre le crime informatique en sont
réduits à acheter de leurs deniers du matériel updaté).
Car dès qu’il y efficacité
des moyens dans ces secteurs, les citoyens sont protégés.
Et c’est là une vision
valable tant pour la gauche que pour la droite.
Des bonds de sondage
toujours éphémères
Les récents sondages l’ont
montré: les belges valident le sécuritaire. Mais tous les spécialistes en
études d’opinion sont aussi d’accord sur un point: ces élans, dans la foulée
d’attentats ou d’événements graves, sont toujours inévitablement éphémères.
Bush père et fils en ont fait l’expérience tout comme bien d’autres dirigeants
mondiaux. Ce sera le cas pour Hollande (l’homme en gardera sans doute l’acquis
d’une certaine stature présidentielle) ou Bart De Wever (le leader de la N-VA
et ses ministres auront cependant
décroché au passage la “légitimité de gestion fédérale” qui leur
manquait)
Changer le terreau social
Faute de moyens toujours, par
démagogie parfois, nombre d’hommes
politiques continuent à faire leurs gammes sur la partition usée de la
sécurité, voire de la peur.
L’air sécuritaire est connu
depuis 20 ans: or, c’est dans une
perspective à 20 ans qu’il faut agir désormais.
Avec surtout –c’est tout sauf
un poncif- la clé de l’éducation.
La ministre Milquet
(cdH) est timide lorsqu’elle
concède des “cours de civisme et de philosophie “ dès seulement 6 ans. C’est
plus tôt (4 ans) qu’il faut commencer à agir si on veut éviter des propos du
type de celui du petit Ahmed, 8 ans, au commissariat pour “incitation au
terrorisme”.
Et nos politiques de premier
plan feraient bien de se saisir de
ces débats de “terreau social” qui n’agitent jusqu’ici que quelques discrètes
commissions parlementaires.
Avec quels budgets
reconstruire encore des écoles non-containers, rénover des quartiers, arrêter
d’envoyer les familles en difficulté toujours dans les mêmes zones
“difficiles”?
Oui, on parle beaucoup du
“fait religieux”. Qui fait notamment que certaines jeunes filles belges
d’origine allochtone, malgré parfois bien des diplomes, se replient pourtant
surleur communauté. Parce qu’on ne leur donne pas d’emploi.
L’enjeu crucial de
l’égalité hommes/femmes
Que fait vraiment ce pays
pour assurer une meilleure égalité hommes-femmes? Que font nos politiques; de
tous niveaux de pouvoir, pour assurer un avenir professionnel aux jeunes
diplomées d’origine allochtone qui, déjà, de par leur milieu, ne se considèrent
déjà pas toujours comme les égales de l’homme?
Un bébé sur deux en Belgique
naît hors mariage: la société belge évolue à toute vibrure mais nos politiques,
apparemment,font mine de l’ignorer.
Le tout sécuritaire, c’est
une peur: c’est le #Charlisme.
Les combats sociétaux de
progrès à long terme, c’est très #JeSuisCharlie.