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Le dessinateur Erik Meynen, au Nord, c’est un peu le Kroll
flamand
Lorsqu’il ne scénarise pas les albums de Suske et Wiske (Bob
et Bobette), c’est aussi un fin cartooniste politologue. L’autre jour, dans Knack, un de ses dessins reflètait parfaitement le piège
qui menace la N-VA: on y voyait, face au Premier Ministre, un Bart De Wever
assorti d’un petit nuage phylactère d’idées très noires, puisque devant
constater que toutes les grandes réformes promises au “peuple flamand” par la
N-VA sont, tantôt en attente, tantôt reportées…
Bref, pour être clair que la “force du changement” (le mot
“verandering” fut l’axe des slogans des campagnes 2012 et 2014) ce sera, si ça
continue ainsi, pour une autre fois.
Bart, comme Soeur Anne, ne voit rien venir
Le flux médiapolitique coule ainsi: Bart De Wever a beau
encore placer systématiquement des allusions à l’islam dans ses interviews, ce
n’est plus le terrorisme djihadiste qui monopolise tout le devant de l’actu.
Les commentateurs politiques en sont revenus à leurs dadas
habituels: et, après déjà cinq mois de participation N-VA au fédéral, ils se
mettent à comparer promesses et résultats. Certes, la N-VA s’est intégrée au
paysage politique fédéral. Certes, les ministres N-VA se sont-ils formés sur le
tas et ont-ils acquis de l’expérience. Mais reste la question essentielle: la
N-VA risque-t-elle, selon le mot du politologue Carl Devos, le “syndrome
Syriza”? Entendez que si ce gouvernement très penché à droite, arithmétiquement
hyperflamand, se révèle incapable d’engranger des grandes réformes, il ne sera
plus d'un interêt évident pour la N-VA.
Cartoon de Marec (Nieuwsblad) |
Aujourd’hui, bof, et le nain de jardin N-VA au V victorieux
a déjà l’air moins fier à bras. Un peu comme pour Syriza en Grece, où le
changement n'est pas jugé suffisamment radical pour certains (l’extrême-gauche
du mouvement grec).
C’est vieux comme le monde: souvent l’idéologie se fracasse
contre le mur des réalités de toutes sortes. Surtout lorsqu’un “parti
nationaliste flamand choisit une participation fédérale qui est la totale
négation de son core-business” a-t-on pu
lire dans Doorbraak, l’organe du
Mouvement flamand.
Le réveil inattendu d’une “gauche sociale” en Flandre
Et le pire, pour les leaders de la N-VA, c’est que les
difficultés ne sont pas communautaires: les francophones n’ont guère, sinon
nada à y voir puisque toutes les frictions sont produites dans l’usine
politique flamande.
Bref, même entre eux, les partis flamands peuvent se
déchirer.
Premier os purement flamand pour la N-VA: sa participation
fédérale a provoqué l’inattendu réveil d’une “gauche sociale” en Flandre, et
qui n’est pas sans dynamisme. Les grèves provinciales et, surtout, la
manifestation nationale du 26 novembre ont eu une ampleur nationale, avec quasi
autant de flamands que de francophones. Déconvenue de la N-VA et résultat habile d’une stratégie
fédérale due en grande partie à l’habileté du pourtant très wallon Marc Goblet,
nouveau secrétaire général de la FGTB et fin tacticien sous ses dehors bourrus.
Laisser filer le budget en Flandre?
Deuxième os purement flamand pour Bart De Wever: au Nord,
l’opinion publique commence à être quelque peu fatiguée de l’austérité “à la
flamande” du gouvernement Bourgeois. Le grand débat politique au Parlement
flamand, c’est de savoir s’il convient, oui ou non, de laisser un peu filer le
sacro-saint équilibre, de lâcher quelque lest budgétaire. La N-VA n’aime
évidemment guère ça, mais les pressions sont fortes. Et pas que des écoles
catholiques, des organisations chrétiennes de soins de santé ou des
agriculteurs (bref, les piliers encore solides du CD&V) qui entendent
éviter une nouvelle couche de restrictions.
Troisième os purement flamand pour le parti nationaliste:
les divergences, les conflits entre partis du nord pour ce qui est du fameux
“dossier Uplace”, ce mega-shopping peu connu des francophones si ce n’est sous
l’aspect mobilité, entendez le risque de terribles embouteillages sur le Ring de
Bruxelles. Mais qui soulève aussi en Flandre des polémiques virulentes, vu les
problèmes environnementaux et de santé publique (cancers et maladies dues aux
particules fines) découlant de ce projet à Machelen, au bord du Ring de
Bruxelles. Tous les partis flamands sont mal à l’aise sur ce dossier, mais
particulièrement la N-VA, où partisans (souvent d’anciens libéraux ralliés) et
opposants au projet se cotoient et s’affrontent.
Quatrième os pour le bourgmestre d’Anvers: dans le Mouvement
flamand, des voix mettent désormais carrément sa stratégie en cause. Dans Doorbraak, l’écrivain flamand Laurens De Vos y va d’un quasi
crime de lèse-majesté: “L'idolâtrie pour Bart De Wever est
particulièrement pernicieuse, en raison du manque de critique interne et de
voix dissidentes. Personne n’aime être défénestré’
La métamorphose du CD&V que De Wever n’avait pas
prévue
Mais l’élément dominant, dans ce cercle des conflits
intra-flamands, c’est assurément l’interminable combat de catch “ Bart contre
Kris”. Mieux que “Iron Sheik” contre “Hulk Hogan”, mieux que le “Bourreau de
Béthune” contre “L’Ange Blanc”, tous champions du genre.
C’était l’élément que De Wever, au moment de la formation un
brin précipitée du gouvernement (avec des textes parfois flous), sans doute
fort de l’expérience du défunt cartel CD&V-N-VA, n’avait pas vu venir. Que
l’ancien boss de l’Unizo (PME du Nord) allait, à contre-courant de tout son
passé, se ArturoBrachettiser en “visage social” du gouvernement Michel. Or, le
catch n’est pas un sport, c’est un spectacle. Ce qui importe au public, ce n’est pas ce qu’il croit, c’est ce
qu’il voit.
Et ce qu’il perçoit, jour après jour, c’est que le CD&V
Kris Peeters se fait le héraut, le “champion de l’équité sociale”, freinant
nombre de velléités idéologiques de la N-VA. Et que, jusqu’à nouvel ordre,
Wouter Beke, le président des sociaux-chrétiens flamands, soutient bel et bien
cette ligne, martelée sans cesse par
son Vice-Premier Ministre, comme si tout cela était bel et bien
coordonné.
Et cette vision est encore confortée par un Eric Van Rompuy
lorsque celui-ci demande à De Wever
“un peu plus de respect
pour Kris Peeters et Wouter Beke”, y allant
même d’un médiatique “le CD&V n'est pas la serpilière humide de
la coalition”.
Un saut d’index n’est pas le changement
C’est comme si toute la communication récente du CD&V
suivait une stratégie bien réglée: provoquer médiatiquement la N-VA pour que
celle-ci s’emporte, montre à l’opinion du Nord que c’est plutôt le parti
nationaliste qui cherche la bagarre, et non point ce brave Kris Peeters. “Nous
voici à nouveau de mauvais flamands, nous sommes redevenus la Bête Noire de la
N-VA” rajoutait encore Eric Van Rompuy,
d’évidence en mission de com’ commandée.
Sur le ring, les catcheurs du CD&V, qui ont de
l’expérience et ont peut-être lu Roland Barthes sur le sujet, savent décidément
très bien flatter le pouvoir d’indignation du public en lui soulignant ainsi la
limite même du concept de justice.
Et De Wever, qui l’a mauvaise (son parti veille à apparaître correct au fédéral)
ne s’attendait assurément pas à ce que le CD&V se comporte de manière aussi
contestataire dans “sa coalition des droites ”, les sociaux-chrétiens flamands
allant jusqu’à dire et faire presque tout et son contraire de leur dernier
programme électoral. Et n’arrêtant pas de mettre de nouvelles objections ou
propositions sur la table. “Le PS aurait fait kif jadis, commente un observateur du Nord, c’eût
été illico une crise gouvernementale”.
Bart De Wever a, bien sûr, vu le danger pour son parti de la
frustration de son électorat. De la perception d’un flop de son slogan du
“verandering” (changement). Car un saut d’index n’est évidemment pas le
“verandering”.
D’ou une multiplication d’interviews, pas piquées des
hannetons vis à vis de Peeters, du CD&V et des partenaires sociaux, s’en
prenant tout à la fois habilement aux employeurs et surtout aux syndicats, ces
empêcheurs belges, selon la N-VA, de
réformer en rond…
Investir encore les salons fédéraux ou reprendre son
credo de base?
Mais la N-VA se retrouvera inévitablement un jour ou l’autre face à un problème
de taille. Quelle stratégie politique et de communication poursuivre? Continuer
à investir mine de rien les salons du niveau Fédéral (Banque Nationale, SNCB et
l’on en passe) ou remettre à nouveau plus en avant son credo anti-système et
communautaire. Il ne suffit pas que Jan Jambon roule, sur sa voiture de
fonction, avec un porteplaque assorti d’un “VL” pour contenter longtemps
l’électeur-militant N-VA. Ou
d’aller chanter à la Fête du Chant flamand ou, détail symbolique, les
participants étaient invités
l’autre jour à gagner un gros lot de 7.500€ par famille flamande si on supprime
les milliards de billions de milliards de transferts vers la Wallonie.
Le CD&V, boa constrictor
C’est que le catcheur CD&V est doué pour la prise dite
du “boa constrictor”.
Qui entend étouffer lentement et patiemment le “verandering”
de la N-VA; qui donne des nationalistes une image d’inexpérimentés du pouvoir
fédéral, d’idéologues attachés à des symboles assez anti-sociaux. “Le catch est
une sorte de combat mythologique entre le Bien et le Mal” disait aussi Roland Barthès. Le dessein
est évident: le centre est un territoire politique convoité et tant Kris Peeters que Wouter Beke s’efforcent ainsi de s’attirer
la sympathie d’un public flamand modéré, dans la tradition d’un parti censé
bien gouverner, responsable et constructif.
Le combat sur le ring électoral est subtil: que le CD&V
mette trop de bâtons dans les roues de la N-VA et le danger est qu’il
apparaisse comme un vil saboteur, un mauvais perdant ou une formation qui
n’aurait désormais plus sa place dans une coalition de centre-droit.
L’équilibre des forces incite le CD&V a la prudence:
avec 18,6% des électeurs, les sociaux-chrétiens ont moins de marge que la N-VA
(32,4%) qui s’attendait à perdre bien plus que ce que les sondages-il est vrai
boostés par le terrorisme- lui prédisent aujourd’hui.
De plus, la N-VA n’est nullement isolée: les relations avec
le MR sont cool et les libéraux flamands, même s’ils abhorrent en privé la
N-VA, jouent souvent assez
subtilement le jeu des nationalistes: on l’a vu dans les dernières décisions
sociales controversées au sein de la coalition. C’est clair: après cinq mois
d’aventure fédérale, la situation se complique vachement pour la N-VA. Mais
Bart De Wever ne manque jamais d’ingéniosité tactique pour contrer les forces
d’un Etat belge qui, selon certains, serait “quasi indomptable.”
Les prochaines négociations budgétaires et #taxshift
s’annoncent, dans ce contexte, pour le moins hard entre N-VA, qu’on peut déjà
deviner rude et rigide sur ses principes, et le CD&V. La N-VA pourra-t-elle
vivre à son aise rue de la Loi après l’inévitable compromis qui en sortira?
L’attitude des
ministres N-VA sera assurément à observer avec attention: on devrait y déceler
des indices. Et puisque le PS (sa
cible favorite) se garde stratégiquement de créer l’incident qui permettrait à
De Wever de remettre en douce un peu de communautaire à l’agenda, il ne nous
étonnerait pas que la N-VA ne s’en charge elle-même un jour prochain ou
lointain: une injection de communautaire camouflé ferait assurément le plus
grand bien aux nationalistes. En situation désormais d’équilibristes.
La N-VA oublie sa logique confédérale
Observez bien la situation sociale: tout y est résumé. Alors
que, dans tous les pays européens, les gouvernements se jettent plutôt sur les
accords de plus en plus difficilement noués entre patronat et syndicats (qui
connaissent la technicité de ces dossiers), il a fallu que la N-VA, pour bien
montrer qu’elle faisait tout de même du “verandering” (changement), corrige et
amende le texte à tout prix, par pure symbolique. Au diable les conséquences et
l’agitation sociale relancée.
C’est que la N-VA n’est pas un partenaire gouvernemental comme
les autres: tout son programme confédéraliste vise à vider le niveau fédéral.
Et la concertation sociale fédérale est clairement, par
tradition, un des grands piliers de l’Etat belge. "Après l'économique,
c'est par le social que la N-VA veut créer les conditions pour le
confédéralisme" lance Marc Goblet (FGTB).
Sulfater la concertation sociale fédérale, lui faire avaler
son bulletin de naissance (1946) n’est donc pas pour déplaire à Bart De Wever.
Qui s’en fiche évidemment comme d’une pomme des intérêts de la Wallonie et de
Bruxelles: ce qui n’empêche pas
ses ministres de décider largement pour tous les francophones.
Amusant: certains observateurs flamands se demandent aussi
ou est passée la logique confédérale de la N-VA à vouloir imposer, a contrario,
une… même règle uniforme d’activation aux prépensionnés des trois régions? (En
2009, la N-VA avait hurlé contre l’activation des jeunes flamands voulue par un
des multiples “plans Milquet”)
La politique de la N-VA est devenue très particulière: une
paix sociale, une approbation de l’accord noué entre employeurs et syndicats,
aurait été le signe que le parti de Bart De Wever ne pouvait imposer son fameux
slogan du changement.
La conclusion est brutale: le plus grand ennemi du
changement tant promis par la N-VA, c’est la paix sociale.
Michel HENRION