C’est la fin de l’Omerta. De
cette loi du silence tacite qui règne encore par trop dans l’enseignement.
Parce que les directions sont parfois mal informées elles-mêmes de ce qui se
passe dans leurs propres classes. Parce que c’est plus confortable de
sous-estimer, voire de celer, les difficultés pourtant relatées par la filière
des éducatrices.
Parce que, surtout, des
articles dans les médias, ça peut vous abîmer, vous ternir vite fait la
sacro-sainte réputation d’une école. “Circulez y’a rien à voir: pas de souci
ici”.
C’est en cela que le gros
dossier ouvert à l’Athénée Royal d’Anderlecht Léonardo da Vinci, avec en son
coeur le sulfureux et borderline professeur de religion islamique Yacob Mahi,
est un tournant pour la libération de la parole. En quelques semaines, voici qu’on
découvre tour à tour qu’un professeur de mathématiques du réputé lycée Jacqmain
aurait tenu des propos antisémites;; qu’on signale qu’un professeur de Woluwé
tient des propos d’extrême-droite; qu’on prend au sérieux les persécutions de
Sarah, une élève juive forcée de quitter l’Athénée Bockstael; qu’on apprend que
la commune d’Uccle a écarté en son temps un professeur de religion israélite qui refusait de
serrer la main des femmes…
Et ce n’est qu’un début: on
prend le pari que l’actualité prochaine nous apportera désormais récurremment
son lot de tribulations, de révélations scolaires sur des nuisibles. Avec une
question de fond: comment faire pour éjecter des écoles des personnages qui
polluent la neutralité de l’enseignement par leurs propos fondamentalistes,
xénophobes, d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, antisémites ou islamophobes ? Comment faire, plus précisément, pour
que les cours de religion ne puissent devenir des Chevaux de Troie dans certaines écoles? Pour que des professeurs
dogmatisés qui exercent un très fort ascendant sur les jeunes ne puissent
continuer à les manipuler?
Des enseignants solides
Bonne nouvelle: le salut
viendra en partie des enseignants eux-mêmes. Il y a heureusement des directions
aux fortes personnalités, qui veillent à appliquer les règlements sans rien
transiger ni négocier. Qui savent que l’école doit parfois se faire
intransigeante. Surtout vis à vis des quelques uns qui veulent en faire, mine
de rien, un lieu d’opposition entre communautés.
On en compte plein,
heureusement d’enseignant(e)s, solides. Qui ne fuient nullement les difficultés
en auto-censurant, en classe, les thèmes “sensibles” ou “difficiles”.
Comme ce prof d’histoire de
Leonardo da Vinci qui entend bien enseigner encore et toujours ce qu’est la
libre-expression, un thème qui insupporte particulièrement le professeur
islamique d’Anderlecht. Qui ne supporte apparemment pas non plus que son
collègue remette en question les moyenâgeuses us et coutumes d’Arabie Saoudite,
ce pays où l’on fouette hebdomadairement les blogueurs épris de liberté
d’expression…
Comme ces autres enseignants
qui, dans certaines écoles, sont irrités par ces professeurs prosélytes qui
abîment finalement peu à peu la
“marque de l’enseignement officiel”. Ceux qu’aucun préfet n’a le droit de
contrôler (pas question d’assister à un cours), qui n’ont ni le même
traitement, ni la même hiérarchie. Qui ignorent les femmes, même leurs
collègues de travail, lorsqu’elles parlent; et détestent encore plus les
associations féministes. Qui intimident les autres enseignants musulmans, à qui
ils parlent parfois en arabe, histoire de n’être pas compris de tous. Et qui,
surtout, infiltrent parfois subtilement les jeunes esprits d’idées radicales
dont l’école n’a nul besoin: dénigrement de l’égalité hommes-femmes, des
philosophes des Lumières, de l’Histoire, des Sciences, des cours de Gymnastique-Piscine,
de la mixité, des voyages scolaires…
Le besoin criant d’une
étude objective
Ca se résume en une formule:
oui, le tour que prend le problème devient parfois tellement hard que ce sont
les professeurs eux-mêmes qui sont fatigués de la loi du silence.
Ici, une précision: on sait
bien, combien ce
sujet est délicat, car souvent agité par certains politiques d’extrême-droite
ou de droite-extrême qui ont fait de l’islamophobie -parfois à en vomir- leur
fonds de commerce électoral.
Le libre-examen postulerait
précisément que la Fédération Wallonie-Bruxelles, à l’instar de ce qui s’est
fait en France, ait le cran de mener elle-même une enquête approfondie,
fut-elle dérangeante: et d’ainsi photographier la réelle amplitude d’un problème
qu’on ne saurait glisser sous le tapis.
On a depuis longtemps surpris
certains professeurs –une minorité, certes, mais très militante- à tenir des
discours limites dans le cadre de leur cours. Comme la lecture de textes
homophobes parlant aimablement, par exemple, de "pendre les homosexuels
par les testicules". Des dossiers
circonstanciés ont même parfois été constitués par des chefs d'établissement:
mais sans que grand chose ne bouge dans la hiérarchie. Encore et toujours la
culture de l’Omerta si chère aux obscures réunions du Pouvoir Organisateur.
Chut: silence à tout prix.
Les élèves “mis en poche”
On attend pour la mi-mars le
rapport des quatre préfets wallons envoyés à Anderlecht pour mener
l’indispensable enquête. Mais il nous étonnerait que celui-ci ne conforte les
témoignages recoupés que nous avons recueilli dans les milieux enseignants de
l’Athénée.
Qui ont besoin de se sentir
soutenus. Qui expriment un vrai ralbol, un authentique malaise quant à la
manière subtile dont M. Yacob Mahi “communautarise” l’école, incite à mettre en
doute ce qu’enseignent d’autres professeurs, tout en veillant –ce proche des
Frères Musulmans est habile, criant à la persécution à la moindre mise en cause
de son système- à dûment respecter les prescrits imposés par l’inspection.
L’homme, par sa forte
influence, a “mis ses élèves en poche”, nous confie un enseignant. “Il peut très bien donner son cours de
manière on ne peut plus correcte et, dans un moment plus relax, plus détendu
avec ses élèves, leur balancer mine de rien l’une ou l’autre de ces opinions
limite antisémites, homophobes ou anti-euthanasie qu’il développe de manière
décomplexée dans des conférences ou dans les medias”. Du genre:“Oui, les jeunes partis en Syrie ne
posent aucun problème d’intégration dans notre pays. Ils sont de bons vivants
belges et surtout beaucoup sont de brillants élèves”.
D’où un autre solide problème:
peut-on incriminer ou non un professeur
pour les propos qu’il tient en dehors du cadre scolaire?
La réponse est apparemment
floue, ce qui postulerait, si cela se confirme, une réforme du statut
disciplinaire.
Dans la “Lettre ouverte” qu’il
a envoyé à la presse pour se défendre, et rédigée dans le plus pur vocabulaire
complotiste, Yacob Mahi rendait ainsi, une fois de plus, hommage à Roger
Garaudy, son “maître à penser”, accessoirement négationniste des chambres à
gaz.
“Rien que cette référence
là fait que M. Yacob Mahi devrait être destitiué immédiatement” a lâché cette semaine la députée FDF Joëlle Maison,
qui, elle, ne fait pas dans le mou si cher aux responsables de l’enseignement.
Qui ont si peur de faire de Yacob Mahi un martyr “à la Dieudonné” et marchent donc sur des oeufs.
Ne pas mélanger avec le
dossier des cours philosophiques
Toute salle de classe est un
espace finalement assez intime.
Et, au travers du cas Yacob Mahi, c’est tout le problème du danger
prosélyte qui est posé. Pas celui de l’évolution des cours de religion/morale
qui est tout un autre dossier. Et qui doit, de fait, évoluer au plus vite, mettre progressivement fin à
l’actuelle et aberrante séparation des élèves. Et éviter dans le futur, avec la
multiplication des cultes en demande de reconnaissance -dont le bouddhisme- une
multiplication des budgets. (l’Etat reconnait déjà le culte catholique,
orthodoxe, protestant, anglican, israélite et islamique)
La ministre Milquet (cdH) a
déjà décidé de faire se rejoindre tous les élèves pour une heure sur deux dès
la rentrée scolaire 2015. C’est encore insuffisant mais c’est déjà ça: les
cours philosophiques sont, plus que jamais, une bonne idée pour décrisper,
dépassionner, pour créer une culture prenant en compte la diversité des
civilisations et des religions.
La Fédération
Wallonie-Bruxelles pourrait d’ailleurs faire encore un pas intéressant, en
s’alignant sur la Flandre. Ou ces fameux cours de morale/ religion si
controversés sont devenus facultatifs alors qu’ils restent étonnamment
obligatoires chez les francophones. (pour rappel, la Constitution impose juste
aux écoles officielles de proposer lesdits cours, pas forcément de les suivre)
On a parfois accusé Joëlle
Milquet de par trop sympathiser -le CDH étant en quelque sorte devenu
électoralement le “parti des religions”- avec les tendances communautaristes;
mais on est de ceux qui estiment que #cestjoelle a aussi une vision des “lignes
rouges” qu’on ne saurait franchir. Comme Yacob Mahi et d’autres le font
d’évidence, aussi allégrément que subtilement.
Il y a quelques années, le
ministre Pierre Hazette (#MR) avait déjà réagi en bloquant, par un formidable
pressentiment, la nomination dudit Mahi comme inspecteur islamique. (ils sont
trois pour 650 profs)
On n’ose imaginer ce que
serait devenu le “corps” des professeurs islamiques avec un tel contrôle
militant.
A l’heure ou l’on constate une
montée en puissance du phénomène religieux chez les jeunes, ou d’aucuns
proposent à ces mêmes jeunes, pour casser le “vivre ensemble”, une “identité
positive musulmane” se substituant à une identité “mal intégrée”, il est une
exigence pour tout politique dans le combat contre l’obscurantisme:
l’excellence. Surtout lorsque, comme on dit à l’Athénée Leonardo da Vinci, nul
n’est préfète en son pays.
Michel HENRION