Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 9 mars 2015

Le nouveau danger pour la N-VA: apparaître comme un parti traditionnel (MBelgique Hebdo du 27/02/2015)



Le phénomène est marquant. La lutte contre le terrorisme aura été un cadeau du ciel pour la N-VA. Puisqu’elle contrôlait tous les départements médiapolitiquement concernés, la normalisation fédérale de la N-VA s’est accélérée à toute vibrure. 
Résultat: le parti de Bart De Wever a quasi décroché son brevet de légitimité, voire de respectabilité. Puisque les importants ministres fédéraux de la N-VA (Jambon, Vandeput, Francken) ont plutôt bien répondu à la forte demande de sécurité, voire de sécuritaire musclé de la population, les wallons, les bruxellois se sont bel et bien habitués à voir les “De Wever boys” apparaître régulièrement dans les Journaux Télévisés.

Jan Jambon, Vice-Premier Ministre/
Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon à Washington, ça n’étonne plus personne: le belge sourit juste de sa panne de micro et de sa blagounette un peu pénible qui tombe à plat.

La diabolisation se dégonfle peu à peu: la N-VA au 16 rue de la Loi a, contre toute attente, déjà quasi décroché son brevet de légitimité.

Ca tient à des détails: le même Jan Jambon visite désormais sans soulever le moindre remous les casernes de pompiers de Wallonie. Avec tout de même, pour ses débuts wallons, un pare-feu: il privilégie plutôt les communes ou le bourgmestre est MR (Spa ou Braine l’Alleud) Un MR ou certains vont même au dela de cette normalisation, comme si, s’exclame un libéral plus réticent, “ils étaient tombés amoureux de la N-VA.” C’est un Damien Thiéry, pourtant maïeur non nommé parla N-VA Liesbeth Homans, qui y va d’un cri surprenant: "La force de la N-VA est d'avoir rassemblé des gens qui avaient en commun de ne plus supporter le marasme de la particratie" . C’est Jacqueline Galant qui y va d’un enthousiaste: "La N-VA ce sont des politiques qui travaillent dur et pas juste pour un mandat: pour l'intérêt général, pas personnel"

Propos qui ne sont d’ailleurs pas sans une certaine logique: la N-VA incarne quelque part ce que nombre de libéraux francophones espèrent devenir: une force dominante.

La normalisation de la N-VA va même parfois très loin: plus personne n’a remarqué combien ledit Jan Jambon devenu ministre dézingue toujours, comme au bon vieux temps de l’opposition, le Centre d’Egalité des Chances.

Ou la N-VA, dit le Vice-Premier Ministre N-VA a heureusement “quelqu’un de confiance”: entendez Mathias Storme, opposant déclaré de la loi anti-discrimination,  cette “agression à l’encontre de la démocratie.” 

Réactions? Nada. Aucun remous. Une preuve de plus de cette “normalisation” galopante de la N-VA.

Qui va aujourd’hui  si loin que le parti de Bart De Wever doit se méfier d’un autre danger: apparaître en Flandre comme quasi un parti traditionnel. Ce qui serait fatal pour cette formation qui a toujours eu le talent singulier de cultiver parallèlement le système et l’anti-système.



Le Coran de De Winter: un écart stratégique



Aucun observateur francophone ne l’a relevé: fut-elle applaudie uniment (encore un brevet de respectabilité retrouvée), la fameuse sortie du ministre Jan Jambon contre la démagogie du Belanger Filip Dewinter -qui brandissait un Coran à la tribune de la Chambre- n’est pas forcément une bonne chose pour la N-VA.

Car Jan Jambon, ce jour là, a fait exactement ce qu’un Di Rupo, un Van Rompuy ou un Verhofstadt, aurait fait: casser les propos nauséeux de l’élu d’extrême-droite.

Or, c’est un sérieux écart par rapport à la stratégie traditionnelle de la N-VA, Bart De Wever se targuant souvent, non sans raison, de ramener vers son parti démocratique, (et non xénophobe ce qui est sa particularité dans les partis populistes européens) les électeurs partis jadis vers l’extrême droite et le Vlaams Belang.

D’ou une ambiguité tactique puisque, pour offrir une alternative à ces électeurs là, pour récolter ces voix-là, la N-VA était pour le moins prudente, condamnant le racisme, les excès du Belang tout en veillant à prêter l’oreille aux messages qui ont  séduit un moment jusqu’à 981.000 flamands. (24 % des votes aux élections du Parlement flamand de 2004, devenant ainsi le deuxième parti flamand)

Certes, le Belang est vraiment le meilleur ennemi de la N-VA; certes les chefs de file du parti nationaliste rêvent d’un Parlement sans plus aucun parlementaire d’extrême-droite, mais il y a l’art et la manière pour  ramasser les voix.

Et, ce jour là,  Jan Jambon n’a plus, comme par le passé, juste écouté le Belang: il est sorti de l’ambiguité, avec son côté positif (gommer le fameux “les collaborateurs avaient leurs raisons”)  mais aussi ses risques et ses périls vis à vis d’un certain électorat N-VA.



L’alerte de Pegida



Ce qu’il adviendra du Belang est très important pour la N-VA. Sur les thématiques de l’indépendance de la Flandre ou de l’immigration, de l’islamisation, le Belang peut toujours perturber.

Une alerte stridente a résonné il y a peu au siège de la N-VA: le mouvement anti-musulman Pegida, soudainement né à Dresde, dans le “modèle allemand”, a donné des sueurs froides à la N-VA. Qui a aussitôt diffusé des consignes: se méfier grandement de Pegida version belge, vu qu’on ne sait pas qui vraiment derrière ce mouvement importé.

Précaution évidente puisque le succès des marches organisées depuis octobre par Pegida en Allemagne s’était étendu jusqu’en Flandre, jusqu’à Anvers, la ville même de Bart De Wever.

Aujourd’hui, politiquement inexpérimentés, les inventeurs de Pegida ne sont pas parvenus à gérer leur mouvement protéiforme. Il s’étiole en collectionnant les gaffes, il est moralement dénoncé et surtout débordé par des courants encore plus extrêmes et racistes.

On peut donc respirer à la N-VA. Parce qu’un mouvement populaire de type Pegida, sur lequel le Belang s’était greffé immédiatement en Flandre, forcerait le parti de Bart à des choix difficiles. Puisque s’allier avec des racistes et des nazis n’est pas vraiment la tasse de thé N-VA, elle n’aurait eu d’autre choix que de s’éloigner quelque peu du pouvoir pour garder son image de parti anti-système, soit de se mettre en difficulté en muant en parti désormais traditionnel.

L'essoufflement de Pegida arrive aussi à point nommé pour les partis politiques allemands, où des fractures commençaient à apparaître. En assurant que «l'islam appartient à l'Allemagne», Angela Merkel avait suscité un certain malaise dans les rangs de la CDU. A gauche,  le geste d’un leader du SPD, qui cherchait à comprendre le mouvement, avait provoqué une gêne manifeste: les sociaux-démocrates allemands avaient officiellement exclu toute discussion avec Pegida.

Mais pour autant, la peur de l'Islam et du déclassement social qui nourrit Pegida n'a pas disparu. Ni en Flandre, ni en Allemagne. Selon un sondage du Stern, 18% des allemands affirment “avoir un malaise par rapport à la religion musulmane”.



Pas d’opposition à droite de la N-VA



Il faut toujours bien photographier que la N-VA a la grande chance de n’avoir point d’opposition à sa droite. Premier parti de Belgique, mais aussi et surtout premier parti de Flandre, la N-VA n’a  plus qu’un seul vrai rival théorique sur le terrain socio-économico-fiscal de droite: l’OpenVLD de Gwendolyn Rutten.

Mais la police d’assurance de la N-VA est que les libéraux flamands, associés à la N-VA tant au gouvernement fédéral qu’au gouvernement flamand, appliquent kif le même programme gouvernemental.

Conséquence: aucun parti de droite n’est là pour critiquer la N-VA sur ce terrain. Cool.



“Le Jean-Marie Le Pen de chez Aldi”



On insiste sur le point: il n’y a donc plus que le Belang, ou un mouvement citoyen de type Pegida, à pouvoir encore encombrer, affaiblir le cas échéant la N-VA sur l’immigration et l’indépendance de la Flandre.

Certes, en mai 2014, le Belang a perdu 30 de ses 41 parlementaires. Crash total. Bouffée d’air frais pour la démocratie. Mais en réaction le Belang a porté à sa tête un certain Tom Van Grieken (28 ans), soit le plus jeune président de parti que la Belgique ait jamais connu. 

Jadis l’homme s’était déjà fait remarquer avec une action contre un barbecue halal organisé par une école de Schoten. Avec un ami, il avait sauté  un mur pour jeter des saucisses de porc sur les écoliers.

Surnommé tantôt le “petit prince”, tantôt le “petit Dewinter”,  Van Grieken serait, dit-on, bien plus doué que ses prédécesseurs pour reconquérir le terrain perdu. Mais pour l’heure aucun signe d’une vraie mue maîtrisée au Belang.

Certes, Tom Van Grieken entend -malgré son action anti-halal de jadis digne d’un QI de lampadaire- adopter un profil moins radical sur les immigrés et s’inspirant de Marine Le Pen pour ce qui du socio-économique.

Question: y a-t-il encore un électorat pour cela en Flandre? De plus, dans les débats, le petit Tom n'a évidemment aucune chance face à un De Wever. Et avec Theo Francken et Jan Jambon, les électeurs issus du Belang resteront encore longtemps à la NVA.

Autre problème: si le nouveau président du Belang proclame vouloir évoluer pour ce qui est du discours sur l’immigration, Filip Dewinter, lui, ne fait que proférer des propos de plus en plus racistes et nauséabonds. Dans les milieux les plus nationalistes, les plus “flamingants”, même ceux positionnés très à droite, on en a d’ailleurs plus qu’assez du “style Dewinter”. L’homme a d’ailleurs, du coup, hérité d’un surnom :  le “Jean-Marie Le Pen de chez Aldi”.

Bref, rien qui puisse pour l’heure vraiment déstabiliser la N-VA,  nouveau parti belge.



Michel HENRION