Résultat: le parti de Bart De Wever a quasi décroché son
brevet de légitimité, voire de respectabilité. Puisque les importants ministres
fédéraux de la N-VA (Jambon, Vandeput, Francken) ont plutôt bien répondu à la
forte demande de sécurité, voire de sécuritaire musclé de la population, les wallons, les bruxellois se sont bel et
bien habitués à voir les “De Wever boys” apparaître régulièrement dans les
Journaux Télévisés.
Jan Jambon, Vice-Premier Ministre/ |
Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon à Washington, ça
n’étonne plus personne: le belge sourit juste de sa panne de micro et de sa
blagounette un peu pénible qui tombe à plat.
La diabolisation se dégonfle peu à peu: la N-VA au 16 rue de
la Loi a, contre toute attente, déjà quasi décroché son brevet de légitimité.
Ca tient à des détails: le même Jan Jambon visite désormais
sans soulever le moindre remous les casernes de pompiers de Wallonie. Avec tout
de même, pour ses débuts wallons, un pare-feu: il privilégie plutôt les
communes ou le bourgmestre est MR (Spa ou Braine l’Alleud) Un MR ou certains
vont même au dela de cette normalisation, comme si, s’exclame un libéral plus
réticent, “ils étaient tombés amoureux de la N-VA.” C’est un Damien Thiéry, pourtant maïeur non nommé
parla N-VA Liesbeth Homans, qui y va d’un cri surprenant: "La
force de la N-VA est d'avoir rassemblé des gens qui avaient en commun de ne
plus supporter le marasme de la particratie" . C’est Jacqueline Galant qui y va d’un enthousiaste: "La
N-VA ce sont des politiques qui travaillent dur et pas juste pour un mandat:
pour l'intérêt général, pas personnel"
Propos qui ne sont d’ailleurs pas sans une certaine logique:
la N-VA incarne quelque part ce que nombre de libéraux francophones espèrent
devenir: une force dominante.
La normalisation de la N-VA va même parfois très loin: plus
personne n’a remarqué combien ledit Jan Jambon devenu ministre dézingue
toujours, comme au bon vieux temps de l’opposition, le Centre d’Egalité des
Chances.
Ou la N-VA, dit le Vice-Premier Ministre N-VA a heureusement
“quelqu’un de confiance”: entendez
Mathias Storme, opposant déclaré de la loi anti-discrimination, cette “agression à l’encontre de la
démocratie.”
Réactions? Nada. Aucun remous. Une preuve de plus de cette
“normalisation” galopante de la N-VA.
Qui va aujourd’hui
si loin que le parti de Bart De Wever doit se méfier d’un autre danger:
apparaître en Flandre comme quasi un parti traditionnel. Ce qui serait fatal
pour cette formation qui a toujours eu le talent singulier de cultiver
parallèlement le système et l’anti-système.
Le Coran de De Winter: un écart stratégique
Aucun observateur francophone ne l’a relevé: fut-elle
applaudie uniment (encore un brevet de respectabilité retrouvée), la fameuse
sortie du ministre Jan Jambon contre la démagogie du Belanger Filip Dewinter
-qui brandissait un Coran à la tribune de la Chambre- n’est pas forcément une
bonne chose pour la N-VA.
Car Jan Jambon, ce jour là, a fait exactement ce qu’un Di
Rupo, un Van Rompuy ou un Verhofstadt, aurait fait: casser les propos nauséeux
de l’élu d’extrême-droite.
Or, c’est un sérieux écart par rapport à la stratégie
traditionnelle de la N-VA, Bart De Wever se targuant souvent, non sans raison,
de ramener vers son parti démocratique, (et non xénophobe ce qui est sa
particularité dans les partis populistes européens) les électeurs partis jadis
vers l’extrême droite et le Vlaams Belang.
D’ou une ambiguité tactique puisque, pour offrir une
alternative à ces électeurs là, pour récolter ces voix-là, la N-VA était pour
le moins prudente, condamnant le racisme, les excès du Belang tout en veillant
à prêter l’oreille aux messages qui ont
séduit un moment jusqu’à 981.000 flamands. (24 % des votes aux élections
du Parlement flamand de 2004, devenant ainsi le deuxième parti flamand)
Certes, le Belang est vraiment le meilleur ennemi de la
N-VA; certes les chefs de file du parti nationaliste rêvent d’un Parlement sans
plus aucun parlementaire d’extrême-droite, mais il y a l’art et la manière
pour ramasser les voix.
Et, ce jour là,
Jan Jambon n’a plus, comme par le passé, juste écouté le Belang: il est
sorti de l’ambiguité, avec son côté positif (gommer le fameux “les collaborateurs
avaient leurs raisons”) mais aussi
ses risques et ses périls vis à vis d’un certain électorat N-VA.
L’alerte de Pegida
Ce qu’il adviendra du Belang est très important pour la
N-VA. Sur les thématiques de l’indépendance de la Flandre ou de l’immigration,
de l’islamisation, le Belang peut toujours perturber.
Une alerte stridente a résonné il y a peu au siège de la
N-VA: le mouvement anti-musulman Pegida, soudainement né à Dresde, dans le
“modèle allemand”, a donné des sueurs froides à la N-VA. Qui a aussitôt diffusé
des consignes: se méfier grandement de Pegida version belge, vu qu’on ne sait
pas qui vraiment derrière ce mouvement importé.
Précaution évidente puisque le succès des marches organisées
depuis octobre par Pegida en Allemagne s’était étendu jusqu’en Flandre, jusqu’à
Anvers, la ville même de Bart De Wever.
Aujourd’hui, politiquement inexpérimentés, les inventeurs de
Pegida ne sont pas parvenus à gérer leur mouvement protéiforme. Il s’étiole en
collectionnant les gaffes, il est moralement dénoncé et surtout débordé par des
courants encore plus extrêmes et racistes.
On peut donc respirer à la N-VA. Parce qu’un mouvement
populaire de type Pegida, sur lequel le Belang s’était greffé immédiatement en
Flandre, forcerait le parti de Bart à des choix difficiles. Puisque s’allier
avec des racistes et des nazis n’est pas vraiment la tasse de thé N-VA, elle
n’aurait eu d’autre choix que de s’éloigner quelque peu du pouvoir pour garder
son image de parti anti-système, soit de se mettre en difficulté en muant en
parti désormais traditionnel.
L'essoufflement de Pegida arrive aussi à point nommé pour
les partis politiques allemands, où des fractures commençaient à apparaître. En
assurant que «l'islam appartient à l'Allemagne», Angela Merkel avait suscité un
certain malaise dans les rangs de la CDU. A gauche, le geste d’un leader du SPD, qui cherchait à comprendre le
mouvement, avait provoqué une gêne manifeste: les sociaux-démocrates allemands
avaient officiellement exclu toute discussion avec Pegida.
Mais pour autant, la peur de l'Islam et du déclassement
social qui nourrit Pegida n'a pas disparu. Ni en Flandre, ni en Allemagne.
Selon un sondage du Stern, 18% des
allemands affirment “avoir un malaise par rapport à la religion musulmane”.
Pas d’opposition à droite de la N-VA
Il faut toujours bien photographier que la N-VA a la grande
chance de n’avoir point d’opposition à sa droite. Premier parti de Belgique,
mais aussi et surtout premier parti de Flandre, la N-VA n’a plus qu’un seul vrai rival théorique
sur le terrain socio-économico-fiscal de droite: l’OpenVLD de Gwendolyn Rutten.
Mais la police d’assurance de la N-VA est que les libéraux
flamands, associés à la N-VA tant au gouvernement fédéral qu’au gouvernement
flamand, appliquent kif le même programme gouvernemental.
Conséquence: aucun parti de droite n’est là pour critiquer
la N-VA sur ce terrain. Cool.
“Le Jean-Marie Le Pen de chez Aldi”
On insiste sur le point: il n’y a donc plus que le Belang,
ou un mouvement citoyen de type Pegida, à pouvoir encore encombrer, affaiblir
le cas échéant la N-VA sur l’immigration et l’indépendance de la Flandre.
Certes, en mai 2014, le Belang a perdu 30 de ses 41
parlementaires. Crash total. Bouffée d’air frais pour la démocratie. Mais en
réaction le Belang a porté à sa tête un certain Tom Van Grieken (28 ans), soit
le plus jeune président de parti que la Belgique ait jamais connu.
Jadis l’homme s’était déjà fait remarquer avec une action
contre un barbecue halal organisé par une école de Schoten. Avec un ami, il
avait sauté un mur pour jeter des
saucisses de porc sur les écoliers.
Surnommé tantôt le “petit prince”, tantôt le “petit
Dewinter”, Van Grieken serait,
dit-on, bien plus doué que ses prédécesseurs pour reconquérir le terrain perdu.
Mais pour l’heure aucun signe d’une vraie mue maîtrisée au Belang.
Certes, Tom Van Grieken entend -malgré son action anti-halal
de jadis digne d’un QI de lampadaire- adopter un profil moins radical sur les
immigrés et s’inspirant de Marine Le Pen pour ce qui du socio-économique.
Question: y a-t-il encore un électorat pour cela en Flandre?
De plus, dans les débats, le petit Tom n'a évidemment aucune chance face à un
De Wever. Et avec Theo Francken et Jan Jambon, les électeurs issus du Belang
resteront encore longtemps à la NVA.
Autre problème: si le nouveau président du Belang proclame
vouloir évoluer pour ce qui est du discours sur l’immigration, Filip Dewinter,
lui, ne fait que proférer des propos de plus en plus racistes et nauséabonds.
Dans les milieux les plus nationalistes, les plus “flamingants”, même ceux
positionnés très à droite, on en a d’ailleurs plus qu’assez du “style
Dewinter”. L’homme a d’ailleurs, du coup, hérité d’un surnom : le “Jean-Marie Le Pen de chez Aldi”.
Bref, rien qui puisse pour l’heure vraiment déstabiliser la
N-VA, nouveau parti belge.
Michel HENRION