Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 21 janvier 2011

Le dilemne de la com’ des partis pour Shame: comment trouver ça absurde mais ne pas vexer les milliers de jeunes qui défileront

"Les politiques sont souvent comme les chevaux. Ils ne peuvent marcher droit sans oeillères." (Anatole France)


Les partis ont un sacré problème de communication sur le dos: comment peuvent-ils gérer cette manifestation (“Shame”), qu’ils jugent, eux, totalement absurde dans son gloubiboulga d’apolitisme stoïquement neutre, et  veiller à ne pas vexer les milliers et les milliers de jeunes et de moins jeunes qui formeront le cortège de cette manif 2.0. Puisque née et développée sur le Net au départ d’une initiative d’étudiants  passionnés de medias sociaux…
Hommage à Marcel Marlier, décédé ce 21 janvier
C’est clair qu’il se passe quelque chose de marquant ces jours ci en Belgique, même si cela passe par le si reposant Woodstock virtuel devant le 16 rue de la Loi (quelque 140.000 tentes, c'est lourd même si c'est factice) et cette manif’ tellement militante d’apolitisme qu’elle vire marche Adeps.
Tout en déclenchant paradoxalement les plus grandes passions. Les medias l’ont bien perçu  et les partis aussi, qui se sont dit, comme toujours, qu’il  y avait peut-être là des voix à ne pas mécontenter et peut-être à ratisser…(on imagine déjà, en com', après la manif, les déclarations proclamant que ça conforte of course "leur" vision des choses...)
Le hic, c’est que, pour la plupart, nos politiques, qui savent parfois tout juste ce qu’est un Ipod,  ne captent pas vraiment l’esprit de cette génération. En fait, les jeunes sont, aujourd'hui, à la fois intéressés et désintéressés par la politique… comme bon nombre de belges.
Joelle Milquet, pour le CDH, avait déjà fait très fort avant les élections de juin dernier, expliquant son mépris de Twitter par sa volonté “de ne pas faire de politique comme des teenagers”. (relit-elle sa collection de “Salut les Copains” pour sortir un mot aussi vieillot ?)  Bref, toujours est-il que cette fois-ci, en voulant récupérer lourdement la marche ( “Cette  manifestation sous le signe de l’unité, c’est mon combat”), la Présidente du CDH a été quasi invitée à ne surtout pas y mettre les pieds.

Mon conseil de com’ aux politiques: cette fois, abstenez-vous…
Et si j’avais donc, modestement, un conseil de com’ à donner aux politiques en vue, habitués à s’afficher relationnellement dans les rues, c’est de ne pas venir, cette fois, y montrer leur tête de politique homme-sandwich.
Qu’André Flahaut ne rêve pas de venir “expliquer les raisons de la crise”: les manifestants lui demandent juste de la résoudre. Qu’Elio Di Rupo se contente du très joli coup de com’ qu’il a réalisé l’autre soir en tutoyant l’acteur et en se faisant octroyer un brevet de bonne conduite politique par Benoît Poelvoorde,  leader “unitariste” de la contestation par la barbe.
Un négociateur se laisse pousser la barbe: récup' schizo.
Que Christophe Doulkeridis, secrétaire d’Etat bruxellois Ecolo et... négociateur à ses heures, n’aille pas promener sa jeune barbe schizophrénique et d’un populisme aussi irritant que ses poils de protestation.
Que  le “PP”  de Mischael Modrikamen s’abstienne, comme tous ces groupuscules belgicains qui ont bien l’intention de faire interpréter la manif à l’aulne de leurs idées, souvent bêtement anti-N-VA ou anti-fédéralistes…
Que le SPa, seul parti à soutenir ouvertement l'initiative, n'en fasse pas trop...( Arno, certes un peu énervé au houblon, a lâché au KVS: "Il y a actuellement plus de socialisme dans un salon de coiffure que chez les socialistes..."


Le promoteur de "Camping 16
Bref, que les récupérateurs, les marchands de fer de Belgique rouillée, les vide-greniers sans projet pour les wallons, s’abstiennent. Parce que leur présence irritera plus qu’elle ne les portera. Parce qu’il faut être dans sa tour d’ivoire de mandataire gonflé de son importance pour ne pas piger qu’il y a un fort sentiment d'exaspération de la part des  belges envers leurs représentants politiques. Un sentiment melting-pot où l’on retrouve aussi bien les trous dans les routes que le boxon à la SNCB et l’on en passe…

Plus ce que ce n’est pas que ce que c’est…
Parce que ce qui a changé aujourd’hui, c'est que les jeunes ont désinstitutionnalisé (ouf...) l'action dans lequel ils expérimentent la mobilisation collective, genre Shame. Oui, avec cette génération ultra-consensuelle, la politique oublie largement l'idéologie. Les jeunes, souvent trop bien intentionnés, veulent conserver une marge de manœuvre, un libre-arbitre, refusent d’épouser nécessairement une ligne politique.
Ici, les organisateurs de Shame ont poussé ce bouchon d’apolitisme radical un peu loin: sans mot d’ordre, sans revendication claire, faisant de la neutralité martelée un tel concept creux qu’il en devient déroutant pour beaucoup. (1)  C’est surprenant: j’ai lu tous les textes des promoteurs de la manif. C’est  troublant: on y dit  en fait davantage ce que ce n’est pas que ce que c’est. (2) Dans ce pays, ne pourrait-on plus réunir bruxellois, wallons et flamands que sur un mot d’ordre vide ? Et encore.
“Shame” , malgré tous ses flous, malgré ses contradictions risquant de virer à l’antipolitisme ou d’affaiblir les francophones en négociations, s’inscrit en fait, à l'analyse, dans cette lignée
d’ engagements ponctuels et ciblés sur des points précis et concrets plus souvent proches de l'opération coup de poing ( “un signal”, disent-ils) que de la théorie politique. Ces jeunes, ben oui, affichent généralement un très net soutien consensuel à la démocratie et à ses valeurs, tout en souhaitant en fait une rénovation du fonctionnement institutionnel de la politique. En cela, Shame, au delà de son manque de sens, est une réaction citoyenne assez saine. Soutenue même par Len Vande Lanotte, oui, le fiston de Johan. ("Je suis entièrement derrière cette initiative"...). Comme quoi, c'est "l'esprit" même de cette manif' qui échappe à nombre de politiques, qu'ils ne parviennent pas bien à comprendre. D'ou leur com' malhabile.

C'est le résultat de juin qui fait l'impasse, plus que les partis
Les étudiants n’ oublient que deux choses en réclamant vite, vite, vite, un gouvernement et presque n’importe lequel: c’est qu’on négocie une réforme de l’Etat bien plus qu’un gouvernement. Et que c’est le résultat des votes on ne peut plus démocratiques émis par l’électeur en juin dernier qui a conduit à l’impasse.  C’est donc dans les urnes qu’il faudrait sanctionner le blocage. Pas forcément en s’en prenant aux partis.A la limite, si on réfléchit bien, cette manifestation apolitiquement si correcte n’est pas loin finalement de réclamer, mine de rien, indirectement, un nouveau scrutin.

Et ça, les milliers de manifestants de ce dimanche l’obtiendront peut-être plus vite qu’ils ne le pensent. En juin-bis ?

Bonus:
1) Shame a mis un temps fortement en avant- leur texte a été remanié- qu’ils collaboraient avec le mouvement “Trop is te veel “ : j’ai poussé plus loin ma curiosité et constaté que ces joyeux loustics là proposaient rien de moins que “la suppression des régions “ et “ un Premier Ministre trilingue et impartial politiquement” : y’en a qui fument carrément la moquette tricolore.
2)  Un des grands sujets de polémique est le drapeau belge, présent sur le site qui a lancé la  manif’ mais déconseillé  par la fameuse phrase –mot d’ordre :
“ L’utlisation du drapeau belge, comme symbole de rassemblement, malgré le fait qu’il soit un bon symbole, envoie le mauvais signal”.
Felix Declerck, fils du ministre CD&V
De fait puisque la N-VA, qui juge la manif “ belgicaine”, la vit désormais  presque comme une offense personnelle…Or, dixit Declerck Jr, un des organisateurs, qui a visiblement le coeur à gauche, "la manifestation n'est certainement pas anti-NVA. Vous savez quoi ? Nous encourageons même aussi Bart De Wever. Go Bart ! Résouds-nous ça !".
C'est compliqué, la vie d'un amanifestant.