Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

jeudi 21 octobre 2010

De la gaffe politique : comment Paul Magnette risque d’attraper un sparadrap mediatique germanique


C’est fascinant, la gaffe politique.
 De découvrir comment un homme politique, théoriquement roué à tous les exercices, à toutes les mille ficelles de la communication, se met subitement à déraper, à ne plus vraiment contrôler ce qu’il dit. Pire: en arrive à ne même plus prendre conscience de la bourde qu’il fabrique joyeusement lui-même en toute inconscience.
 Il y a d’ailleurs plusieurs catégories de gaffes: celles qui font juste sourire et s’évaporent illico, celles qui en arrivent à rendre leur auteur encore plus sympa, celles qui vous collent désormais à la peau comme un sparadrap éternel. ( Dans les plus récents sparadraps indécollables: la “Brabançonne-Marseillaise “de Leterme, le “déjeuner chez Bruneau avec Bart” pour Reynders…)
 La bourde a d’ailleurs ses règles en communication: la gaffe politique est presque toujours une gaffe médiatique. Soit l’homme politique juge mal le cadre dans lequel il s’exprime, soit il apprécie mal la portée du contenu de ses propos – qui sont le plus souvent une conviction intime- et le contexte dans lequel ils débouleront, provoquant émoi, ricanements, moqueries ou indignations.
 C’est clairement dans ce dernier schéma qu’il faut situer les étonnantes bourdes de Paul Magnette. Qui n’en finit décidément pas cette semaine d’abîmer subitement son crédit de très bon communicateur ( 3ème aux Lobby Awards) en s’emberlificotant dans des déclarations pour le moins bizarroïdes…Et forcément, inévitablement dans le climax actuel, montées en sauce.
 Premier épisode: l’envoyé habituel et bilingue du PS dans les studios mediatiques du Nord du pays s’efforce de rattraper la mayonnaise communautaire,  développe un discours dessiné à la courbe rentrante pour prôner la poursuite du dialogue avec Bart et associés.
 Certes, l’observateur attentif a depuis longtemps photographié que les politiques francophones bilingues (Reynders, Melchior Wathelet Jr, Louis Michel,  etc…) modifiaient, amodiaient -tiens- tiens  quelque peu leur discours lorsqu’il s’adressaient directement à la Flandre. Mais Magnette fait vraiment très fouette cocher et stupéfie son monde: d'une part en ne disant pas du tout la même chose entre 7h30 et 8h30 "en traversant le couloir" à la RTBF-VRT. D'autre part, en affirmant soudain que le texte de Bart De Wever, honni et vomi depuis dimanche soir, qualifié d’honteusement “unilatéral”, était à 90% un copié-collé de la proposition de compromis du… pré-formateur Elio Di Rupo. C’est la kermesse aux pourcentages: si la note de Bart intègre 80% des propositions de la N-VA et 90% des brouillons de Di Rupo, c’est que, concluent les facétieux, Di Rupo avait intégré 100% du programme des indépendantistes-nationalistes…
 Bref, tout et son contraire. Et jusqu’à l’absurde puisque contrairement à une tarte du meilleur pâtissier du Boulevard Tirou, un texte ne peut se découper en pourcentages. Même si on comprend qu’il s’agit surtout d’une relance politique et que De Wever a repris en fait, pour construire sa proposition minimale, l’ “architecture” des défuntes propositions de compromis de Di Rupo.
 Deuxième épisode: généralement chargé d’anticiper et de faire asavoir ce que le président du PS pense in petto, Magnette multiplie, du coup, les interviews à tout va pour s’expliquer. Et là, au détour d’une question de Martin Buxant et Francis Van de Woestyne pour “ La Libre”, on sent que le politologue, le prof’ d’univ, se laisse aller, cumulant curieusement les boulettes de com’.
 D’abord, il déforce quelque peu le “plan B” ( Belgique résiduelle sur base de la Fédération Wallonie-Bruxelles) , censé, dans la communication du PS, être la menaçante solution de rechange en cas de “révolution des gaufres”. Solution qui aurait surtout besoin d’être confortée pour que Bart et les autres partis flamands y voient autre chose que de la musculation.
 Ensuite, il y va d’un p’tit coup de mépris vraiment inutile pour les partisans d’un rattachement à la France, lesquels, pour être certes discrets, n’en sont pas moins respectables. Et des électeurs potentiels qu’il vaut mieux en tout cas ne pas froisser: ne fut-il pas un temps ou le Rassemblement Wallon fut le deuxième parti à Charleroi ?
 “Quand je vois la situation en France, je comprends qu'il n'y ait plus que trois rattachistes en Wallonie”, lance pourtant le nouvel homme fort de la Métropole.
 Et Magnette de juger “ridicule” de vouloir être rattaché à un pays qui, à ses yeux, “a une culture aux antipodes de la nôtre”.  Et de parler à ce sujet de l'absence de concertation sociale et de l'autoritarisme gouvernemental dans le dossier français des pensions. Ce qui n’est pas faux mais n’est évidemment lié qu’à une présence politique: celle de Sarkozy. La photographie n’est que momentanée et ne vaudra peut-être plus demain, sous Aubry ou Strauss-Kahn. C’est maladroit itou car, même si l’idée rattachiste ne tient pas la route aux yeux de Magnette, c’est surtout nier cette culture commune qui fait que nous pensons, rêvons, raisonnons en français, que nous lisons en français, que nous zyeutons en français…
 Passe encore donc mais voila que le futur président du PS, piqué par on ne sait quelle mouche, se grille vraiment en rajoutant la couche la plus suprenante.
 “Si on doit se rattacher un jour, ce sera plutôt avec l'Allemagne. C'est plus dans l'intérêt industriel de la Wallonie”, poursuit-il.
 Ouhla, on devine effectivement que le futur Président du PS cède à ses travers de politologue et est intimement persuadé que le système fédéral allemand, décentralisé, privilégiant la négociation sociale, est plus proche du nôtre que l’élitiste centralisation à la française.
Sauf que le hic de com, c’est que l’Allemagne n’a, même si c'est injuste, vraiment rien de glamour dans l’imaginaire collectif du francophone wallon ou bruxellois.
 Que ça lui évoque le plus souvent, à tort, les clichés grotesques des fêtes de la bière et de “ Holia u-i-ri, djo ha-i-ri “ chantés à tue-tête. Et que la mémoire collective des familles est toujours souvent marquée  par le passé. Comme le dit Yves Leterme cette semaine dans Humo à propos de ses parents : “ Des conversations de mon enfance, je me souviens de la haine des Boches et de certains nationalistes flamands qui s’étaient associés…”
 Certes, ces références à 40-45 et aux “ Boches”, pas si anciennes que ça dans l’histoire, sont aujourd’hui totalement dépassées mais voila, lorsqu’on est politique de premier plan mediatique, on fait tout de même  prudemment gaffe à ce que l’on peut susciter chez l’homme de la rue de Wallonie. Lequel wallon n’a généralement aucune envie, hormis Derrick , d’avoir grand chose de commun avec les allemands. Et l’Allemagne marchant de pair avec la Wallonie et Bruxelles, on a vu moins farfelu.
 Il est des gaffes qui laissent une trace: et Paul Magnette risque fort d’hériter pour longtemps d’un indécollable sparadrap mediatique germanique et d’une désagréable  image de culotte de peau.
 Comme quoi l’homme politique, fut-il aussi malin que Paul Magnette, a souvent intérêt à faire autant de bruit qu’une chenille sur la mousse à raser de Dr House.