Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 4 juin 2010

LES TROUBLES DE L’ELECTION (35): LE CAMION DE “PAPA” DAERDEN ECRASE 20 ANS D’ETHIQUE POLITIQUE

C’est juste un constat froid: Michel Daerden a délibérément piétiné, jeudi, tout ce que le monde politique, tous partis confondus, a mis des années à construire: davantage d’éthique dans les élections grâce à la limitation des dépenses et au contrôle des moyens de propagande électorale.
Une législation qui s’est préoccupée tour à tour des élections fédérales (1989), des régionales et européennes (1994) et des communales et provinciales (1994 aussi) et dont l’objectif, après plus de vingt ans d’atermoiements et de grands et petits scandales de financement (les “enveloppes”, plus ou moins épaisses, que les grandes entreprises allaient déposer tour à tour dans tous les partis influents…) était de moraliser toutes les campagnes électorales. Non seulement pour équilibrer les chances de chaque candidat lors des élections législatives, mais également pour un meilleur respect de l’électeur et de l’environnement.
Comme l’écrivait Laura Iker, l’une des meilleurs spécialistes à avoir fait naître cette législation, dans son vade-mecum de référence (Ideal): “ L’idée est de faire en sorte que l’électeur se prononce en faveur de l’un ou l’autre parti politique ou candidat en fonction de leur valeur et de leur projet politique et non pas en raison du caractère plus ou moins tapageur, voire racoleur, de la publicité qui leur était faite”.
Des règles qui, depuis vingt ans, avaient été jusqu’ici très respectées, surtout pour ce qui est des scrutins fédéraux.( hormis quelques tricheries mineures) Et que chaque parti, chaque parlementaire connaît par coeur : c’est le baba du métier politique. D’autant plus que la loi a curieusement choisi de plutôt rendre le parti politique responsable des faits et gestes de ses candidats.(qui, lui, en fait, ne risque pas grand chose et n’est donc pas “responsabilisé”, contrairement aux communales: on se souviendra du bourgmestre MR de Woluwé St Pierre perdant son trône local pour avoir transformé son Bulletin communal en tract Corée du Nord…)
Bref, c’est dire si tout candidat député ou sénateur est régulièrement briefé sur le maximum qu’il peut dépenser et comment il peut le faire.
Une chose est de ne pas pouvoir maîtriser les faits et gestes d’un colleur qui appose plusieurs petites affiches sur une surface de plus de 4m2 (illégal), ou un militant doué en informatique qui trouve malin de pirater le Facebook d’un concurrent pour y placer l’image de sa papalâtrie…
Mais c’est tout autre chose lorsque Michel Daerden fait réaliser et imprimer, dans une des rares entreprises spécialisées pour ce type de coûteux boulot graphique, de spécifiques affiches géantes de 30m2. Et lorsqu’il loue ou se fait prêter (la valeur devra lui en être légalement imputée au prix du marché) un camion semi-remorque de dix mètres de long sur trois de hauteur, il sait pertinemment bien qu’il va violer jusqu’à l’os la loi de 1989.
Qui, sur ce point, a l’une des dispositions les plus claires, avec trois grandes interdictions, d’ailleurs valables pour toutes les élections:
-l’utilisation de panneaux ou affiches publicitaires non-commerciaux d’une surface de plus de 4m2.
- l’utilisation, complète ou partielle, de panneaux ou affiches commerciaux.
- la distribution de cadeaux ou gadgets.
Et on vous épargne les articles sur la limitation des dépenses, le crédit disponible pour “ Papa” (34.701 euros) devant déjà être pour le moins bousculé…(tiens, le camion pirate circule-t-il toujours ?)

Et cette loi, née –fait rare- de la volonté commune de sept partis politiques, de bien préciser , et ce n’est donc pas un détail, que c’est “le parti politique qui sera tenu pour responsable “, du moins pour ses dépassements de dépenses.
Donc, faut pas se raconter d’histoires: Michel Daerden n’a aucune excuse, aucune distraction à faire valoir. C’est très volontairement qu’il a décidé de se moquer de la loi de 1989 comme de son premier seau de colle électoral. En ne risquant effectivement pas, perso, grand chose.
Car, on cite, les candidats et les tiers qui enfreignent ces interdictions sont passibles d’une sanction pénale, à savoir un emprisonnement de huit jours à un mois et/ ou d’une amende de 50 à 500 euros (à multiplier par 5,5) (art. 14, § 1er, 4°, de la loi du 4 juillet 1989 et art. 181 du Code électoral).
Mais la vraie sanction prévue par les partis eux-mêmes est celle-ci, pour le moins lourde si elle était appliquée. C'est, on cite en détails, la suspension possible du droit à la dotation, dont la durée ne peut excéder quatre mois ni être inférieure à un mois, pour le parti politique qui dépasse le plafond de dépense autorisé" (un million d'euros par parti )
Le législateur s'est montré en fait plus dur pour les partis, pour veiller à limiter leurs dépenses, que pour les candidats, qui ne risquent qu'une amende ou une peine de prison théorique.(car un parti ne peut contrôler les agissements de tous ses candidats) On touche ici au coeur de la réforme : pour faire simple, parce qu’il y a aussi des dotations régionales, dès qu’un parti compte un élu à la Chambre ou au Sénat, il perçoit un forfait plus 1,38 euro par vote valable.
Ce qui explique pourquoi, lors d’un ressac électoral, certains partis se retrouvent soudain à devoir se serrer la serrure (ce fut le cas d’Ecolo) et aller jusqu’à devoir licencier tandis que d’autres gagnent un peu à la Loterie…(ce sera le cas de la NV-A cette fois ci)
Le megacamion de Daerden, qui est tout sauf évidemment passé inaperçu, a en tout cas toutes les chances de se retrouver devant la Commission de Contrôle parlementaire, une simple plainte déposée par toute personne justifiant d’un intérêt suffisant pour déclencher (entre autres dispositions) une action dans les 200 jours suivant l’élection.

Donc, l’incident est bien plus sérieux qu’une nouvelle et somme toute banale facétie très calculée de “Papa” Daerden. Donc, le ministre CDH Benoît Lutgen est politiquement gentil ou a tout faux lorsqu’il déclare (03/06) qu’il “n’y a rien d’illégal dans la démarche et que c’est une question de bon sens” que de ne pas placer le camion à Papa sur le parking de l’autoroute à Burenville.
Mais non, c’est tout le camion qui est illégal: suffit pas de lui dire : “Allez, circulez…”
Est-ce parce qu’il est pris dans la douce folie psy de son combat électoral fratricide avec Alain Mathot, qui, lui aussi (cfr ci-contre la photo de Martin Buxant sur Twitter : @Le_Bux) dépasse les 4m2 mais en les partageant habilement avec une candidate ? Est-ce le fol enjeu des voix de préférence qui lui fait espérer demeurer le poids-lourd-camion de Liège ? Est-ce parce qu’il sait que, pour de multiples raisons à réviser, sa carrière touche doucettement à sa fin et qu’il a donc décidé, la fin justifiant souvent les moyens en politique, de jouer les Néanderthaliens de l’affichage (faisant fi en outre de la circulaire ministérielle de la Région wallonne interdisant toute publicité électorale sur un terrain appartenant à la Région et l’interdiction bien connue de faire de la publicité au bord des autoroutes).
Est-ce parce  qu’une fois élu Michel Daerden, même s’il aura bafoué délibérément toutes les règles, ne risque en fait aucune inéligibilité ?
Toujours est-il que si les responsables du PS national et des autres partis (qui, après les élections, dans les différentes Commissions de Contrôle, ont tout de même tendance à nouer souvent de petits arrangements entre amis) ne réagissent pas, ce sera la porte ouverte à toutes les infractions, à systématiser petits ou grands débordements.
Au risque de voir toute l’éthique construite depuis 1989 écrasée par le camion à Daerden.