Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

jeudi 20 mai 2010

LES TROUBLES DE L'ELECTION (17)/ Décryptage des trucs et ficelles d’un débat : pourquoi mon détecteur à “langue de bois” a beaucoup clignoté… (Reynders-Di Rupo)

En communication politique électorale, mieux vaut, quitte à risquer de susciter l’ennui des télespectateurs-auditeurs, s’en tenir à des généralités et à une présentation un peu administrative de son message.
Le message édulcoré, c’est bien plus prudent qu’un langage trop engagé,qui postule le risque de l’impopularité.
Ce fut donc, jeudi soir, à RTL, entre Didier Reynders et Elio Di Rupo arbitrés par Laurent Haulotte, un échange feutré, modéré, peu tranché, bref très politiquement correct. Et sans doute un brin convenu en coulisses entre “hommes d’Etat”.
Etrange aussi, car s’il y avait sans doute en communication une volonté d‘éviter l’image de francophones en bisbille, on s’est un peu pincé à voir les deux leaders PS et MR vivre comme dans une bulle, comme s’ils ignoraient tout de l’ ”autre campagne”, celle qui se passe au Nord du pays, et qui est très, très communautaire… Car la Flandre prépare son sursaut radical et peut-être nationaliste à coups de mots boulet-de-canon et veut de toute façon, outre BHV, une forme forte de confédéralisme.
Bref, du lourd jaune et noir, tandis qu’en face les anciens “demandeurs de rien” prennent une posture attentiste ( “ Laissons d’abord la Flandre s’exprimer”) mais parlent curieusement de “renforcer le fédéral “ (Reynders) ou proposent, comme mâle contenu pour la future réforme de l’Etat, des miettes sur les invalides, la jeunesse, voire, comme Laurette Onkelinx l’autre jour, la régionalisation de la lutte contre l’alcool ou le tabac qui ne manquera assurément pas d’enthousiasmer Kris Peeters ou Bart De Wever…
Difficile, en communication, de produire réponses plus floues et plus édulcorées sur leurs positions à l’approche de la grande négociation communautaire qui s’annonce.

Ce fut un peu kif pour le sujet aujourd’hui le plus périlleux, le plus redoutable pour tout homme politique : la crise économique, des banques et de l’Euro.
Car là on ne peut pas éluder : le wallon ou le bruxellois les zyeutant devant son poste ne comprendrait pas.
Donc, on en parle mais on enjolive ou on passe sous silence la situation, histoire d’éviter toute impopularité (pas un mot mercredi soir sur les 42 milliards d’euros à trouver d’ici 2015), voire toute panique.
C’est un vieux truc de com et de salive politique : on pose le constat, genre “ la crise est grave et elle a des conséquences…” puis on ajoute vite, fissa, un grand MAIS…
Exemple classique - la grande ficelle actuelle d’ailleurs de Joelle Milquet- on dira : “ Oui, le chômage monte MAIS la Belgique est moins touchée que ses voisins sur ceci ou cela…” ( au vu des derniers chiffres, c’est le chômage qui vire plutôt durable, pas l’emploi…)
Et, comme Didier Reynders, au poste-clé des Finances dans la crise monétaire, on se fait valoir, genre : “ Vous voyez, moi je ne dors pas la nuit, vous pouvez donc compter sur moi…”
Et on puise à tout va dans le stock des formules qui servent à atténuer les réalités trop cruelles, trop dures, trop brutales tout en bottant en touche. Elio Di Rupo place son “ La rigueur, oui, l’austérité non” (asticieuse ouverture de parapluie, non ?) et , comme lendemain plus rose, doit se contenter de promettre qu’on ne touchera ni à l’index ni, ce qui est déjà plus difficile à assurer, à la pension à 65 ans…
Jadis, le français Pierre Mendes-France disait “que le premier devoir des hommes politiques, c’était la vérité. De ne pas ruser, de ne pas dissimuler les difficultés.”
Jeudi soir, mon détecteur de langue de bois n’a curieusement pas cessé de clignoter. Et que je te place un peu de “storystelling” aussi, cette technique de communication venue des Etats-Unis et abondamment utilisée par Nicolas Sarkozy, ou, pour faire passer son message, l’homme politique se doit de raconter une historiette plus ou moins véridique. (un bon fait divers, çà aide au thème sécuritaire…) Et que je te place aussi le “coup de la métaphore” (“imaginons que la Belgique, Madame, Monsieur, soit un couple, un peu comme vous…”), qui fait appel à un soi-disant bon sens mais qui ne signifie évidemment rien en elle-même.
Et que j’enjolive, que je peaudechamoise soudain au détour d’une phrase de mon clinquant slogan de campagne (“ Garantie du respect” ou “ Pays stable”) pour que vous vous rappeliez bien mon concept le 13 juin. Et surtout que je place, les “inserts sonores”, entendez les formules-choc préparées et répétées avec mes collaborateurs.
Et surtout tous les mots-clés supposés toucher un segment électoral. Sur ce plan, jeudi soir, là ou Di Rupo se contentait d’égréner un chapelet fraude-fiscale-emploi-spéculation-gardiensdelapaix (oubliant son récurrent contrôle des prix) Didier Reynders a veillé à remplir tout son album Panini électoral, plaçant au passage toutes ses vignettes à collecte de voix : allez, oups, un p’tit mot pour les handicapés, les indépendants harcelés, les horecistes à la TVA allégée, les pensionnés modestes condamnés à Aldi ou Lidl, les maladeurs chroniques, les troustrous des routes wallonnes, la sécurité ouhfaismoipeur, même un coup d’émotion pour les marcheurs de Joe Van Holsbeek ( cristallisation des craintes sécuritaires de la population) sans oublier un couplet sur les charges sociales des travailleurs. Il est vrai qu’en com politique, un libéral parlera toujours de “charges sociales- c’est à dire un poids qu’il faut alléger- tandis qu’un communicateur de gauche parlera toujours de “cotisations sociales”.
Oui, oui, en politique, les mots sont vraiment des armes.